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REVUE DES DEUX MONDES.

cupa la ville de Saigon, que son prédécesseur avait dû évacuer, en fit un centre d’action européenne, et traça ses lignes de défense. Ainsi qu’on s’est plu à le reconnaître dans la relation historique de la campagne de 1861, le premier acte de l’occupation de la Basse-Cochinchine a donc été cette expédition hardie et rapide qui, sous les ordres de l’amiral Rigault de Genouilly, fit tomber Saigon au pouvoir des Français en février 1859. On transformerait du reste singulièrement notre pensée, si l’on était amené par nos réflexions finales à croire que la prise de Saigon en 1859 et la campagne de 1861 dussent faire méconnaître l’importance de ce qui s’est accompli depuis en Cochinchine sous le commandement de l’amiral Bonard, tant en expéditions de guerre que pour l’organisation intérieure de la colonie. Agréez, etc.

léopold pallu.


REVUE MUSICALE.

Le Théâtre-Italien a remis au répertoire l’opéra Cosi fan tutte de Mozart, qu’on n’avait pas entendu à Paris depuis 1820. C’est une bonne pensée dont il a lieu de se féliciter. Ce chef-d’œuvre de grâce et de sentiment, d’un style si varié et si profond, a été bien accueilli par cette partie supérieure du public qui, dans tous les pays de l’Europe, représente la civilisation. Malgré une exécution imparfaite, malgré l’insuffisance du personnel chargé d’interpréter cette partition difficile, qui renferme trente et un morceaux, dont quelques-uns sont très développés, on a senti le charme de cette musique inspirée de Dieu, et ourdie par la main d’un maître puissant et adorable.

Cosi fan tutte a été représenté pour la première fois à Vienne, sur le théâtre italien de la cour, le 26 janvier 1790. C’était le quatrième opéra de Mozart, qui a composé depuis la Flûte enchantée et la Clemenza di Tito avant de mourir, le 5 novembre 1791. Le poème est de Lorenzo da Ponte, qui avait déjà écrit pour Mozart les deux libretti des Nozze di Figaro et de Don Giovanni. — Deux jeunes officiers et amis, Ferrando et Guglielmo, se trouvent dans un café à Naples où ils s’entretiennent de la beauté et des vertus des deux femmes qu’ils aiment et qu’ils doivent bientôt épouser. Un ami commun, don Alfonso, devant lequel ils exhalent leur enthousiasme amoureux, trahit son incrédulité par un sourire ironique qui les irrite. — Est-ce que vous douteriez de l’honneur et des vertus de nos belles ? lui disent-ils en portant la main sur la garde de leur épée. — Vous êtes bien téméraires, répond don Alfonso avec malice ; il en est de la fidélité des femmes comme du phénix d’Arabie, tout le monde en parle, et personne ne l’a jamais vu. — À cette comparaison injurieuse, les deux braves répondent qu’ils sont prêts à défendre l’honneur de leurs fiancées l’épée à la main. — Cela ne prouverait rien du tout, répond don Alfonso. Faisons mieux, parions les frais d’un bon souper, cent sequins si vous voulez, et je me charge de vous démontrer que Fiordiligi et Dorabella sont des femmes comme les autres. — Le pari est accepté par les deux héros, et voilà don Alfonso qui se met à combiner un stratagème absurde et impossible pour lequel il mériterait cent coups de bâton. Don Alfonso va trouver les deux sœurs, Fiordiligi et Dorabella, qu’il connaît depuis longtemps, et il leur annonce la triste et fausse nouvelle que le régiment où