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REVUE DES DEUX MONDES.

On voit bien qu’elle est née sur le champ de bataille, et que, poussée par la nécessité, elle a été forcée de sauter à pieds joints par-dessus certaines études vocales qui manquent évidemment à son éducation.

La vocalisation de Mlle  Patti en effet n’est pas régulière ; elle est dépourvue du moelleux et de cet empâtement que donnent à l’organe humain des exercices patiemment exécutés. On regrette aussi que le goût de cette brillante virtuose ne soit pas plus pur, et qu’elle cherche trop souvent à étonner la foule par des cabrioles qui affligent les vrais connaisseurs. S’imagine-t-elle par exemple que ces slanci qu’elle fait sur les notes les plus élevées de son échelle, que ces petits cris d’oiseau qu’elle fait entendre à la fin d’un morceau pathétique soient bien agréables et d’une heureuse invention ? Ce sont là des surprises et des tours de force qui ne valent pas le chant simple d’une âme émue. Ce n’est pas par le style, par la tenue ni par l’émotion que se recommande le talent de Mlle Patti ; mais elle est jeune, brillante, douée d’une voix magnifique et d’une vive intelligence, et cela suffit pour justifier l’éclatant succès qu’elle vient d’obtenir à Paris. Elle a chanté trois fois le rôle d’Amina dans la Sonnambula avec beaucoup d’éclat, et elle y a été assez bravement soutenue par M. Gardoni, chanteur habile, qui a pris feu aux beaux yeux de la jeune virtuose. Mlle  Patti s’est produite ensuite dans la Lucia de Donizetti, où ses petites imperfections ont été plus remarquées, parce qu’elle n’a pas su donner à ce personnage de femme idéale la grâce et la haute élégance qu’il exige.

Il faut bien, hélas ! que nous disions un mot en finissant de la mésaventure arrivée à M. Mario sur le grand théâtre de l’Opéra. Mal conseillé par ses amis sans doute, ce chanteur, si justement aimé, a eu l’incroyable fantaisie d’accepter un engagement de trois mois pour chanter à l’Opéra les rôles du grand répertoire. Il s’est montré, il y a quelques jours, dans les Huguenots sous le costume de Raoul, et dès le premier acte tout le monde avait acquis la conviction que le noble artiste s’était fourvoyé, ainsi que l’administration qui avait accepté ses offres. À la fin de la représentation, M. Mario a eu le bon sens de rompre un engagement qu’il n’aurait jamais dû contracter. M. le directeur du Théâtre-Italien, en bon père de famille, a ouvert ses bras à l’enfant prodigue, et il l’a ramené dans sa belle maison, où M. Mario trouvera à qui parler dans Mlle Patti. Le mariage a lieu dans le Barbiere, et tous les amateurs du bel art de chanter assisteront à la noce.

Nous avons reçu de Mme Viardot la lettre suivante : « Vous annoncez, dans la dernière livraison de la Revue des Deux Mondes, la publication d’une nouvelle édition de Don Juan de Mozart arrangée et mise en ordre d’après le manuscrit original de Mozart, qui est la propriété de Mme Pauline Viardot. C’est une erreur que je vous prie de m’aider à rectifier. La vérité m’oblige à déclarer qu’à l’occasion de cette édition nouvelle aucune communication n’a été faite ni demandée du manuscrit que je possède. » Nous n’avons rien à opposer à l’affirmation de la grande artiste. Ce que nous pouvons assurer, c’est que la nouvelle édition de Don Juan, qu’on vient de publier à Paris, est conforme à l’original, et qu’elle est la plus complète que l’on connaisse.


P. SCUDO.



V. de Mars.