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conservé, tout en se détachant, des liens avec la Tour de Londres, dont la sombre masse s’élève droit en face de lui, flanquée de bastions et couronnée de pièces d’artillerie, qui passent traîtreusement le cou entre les échancrures des parapets. Une telle voisine se trouve évidemment là pour protéger l’autre édifice en cas de besoin. Sur la gauche, en tournant le dos à l’hôtel des monnaies, se présente l’entrée principale de Saint-Katharine’s Docks, dont le mur d’enceinte, massif et très élevé, se prolonge avec monotonie dans tout le parcours d’une interminable rue. À droite, sur la place, se dresse un palais de gin (gin palace) avec la pompe et le clinquant fané qui distinguent ces maisons de commerce. Une grille avec deux entrées défend la cour de l’hôtel ; une de ces entrées, surveillée par deux policemen et une sentinelle, s’ouvre pour les visiteurs et les employés de la Monnaie ; l’autre, toujours fermée, se trouve en outre gardée par un poste de soldats. Si l’on veut maintenant se faire une idée de l’étendue des bâtimens où se frappe la monnaie et du voisinage qui les enveloppe, il faut tourner une ruelle à gauche qui conduit derrière l’édifice. Là on se trouve dans un des quartiers les plus pauvres et les plus sinistres de Londres. De vieilles maisons de bois à toits angulaires et à deux ou trois étages, des allées étroites et humides, des rez-de-chaussée aux vitres sales et ternes, qui sont à la fois des taudis et des boutiques, tel est l’aspect général de Royal Mint-street ; quelques-uns de ces rez-de-chaussée, s’il faut en croire un écriteau suspendu à la porte, sont des échoppes de blanchisseuses. Je ne sais point quelle peut être la couleur du linge qui sort de ces endroits-là ; mais à coup sûr la boutique aurait grand besoin de se blanchir elle-même. Une des plus lugubres parmi ces allées est celle de Saint-Peter’s Court. Là s’étalent devant les portes des vieillards immobiles et paralysés, véritables statues de la caducité ; des jeunes filles qui végètent, pâles et décolorées comme des fleurs à l’ombre ; des femmes dont le visage ne marque point d’âge, et qui se montrent obscurcies par la misère comme par un voile. Avec tout cela, les enfans pullulent dans la rue ; gravement assis en rond sur le pavé, par groupes de huit ou dix, on les voit jouer avec des morceaux de faïence cassée. Cette cour est dominée dans toute sa longueur par un grand mur au-dessus duquel s’élèvent de hauts tuyaux de brique ; ce mur appartient à l’hôtel de la Monnaie et sépare l’extrême indigence des immenses trésors.

Bien peu de visiteurs se donnent la peine de tourner ainsi autour de l’édifice ; munis d’une permission écrite, délivrée par le maître de la Monnaie (master of the Mint), ils entrent par la place de la Tour (Tower-hill), franchissent la grille, traversent un sentier de pierre qui s’aligne entre deux nappes de gazon, et se trouvent dans une salle d’attente. Là, ils signent leur nom sur un registre et sont