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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/829

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voyage ne laissait pas de présenter de grandes difficultés. Toute communication entre les deux rives était sévèrement défendue tant par les Turcs d’un côté que par les Russes de l’autre; une surveillance active était établie, et il n’était question que de pendre et de fusiller ceux qui traverseraient le fleuve. Ce n’était point d’ailleurs lettre morte que ces menaces, et on avait déjà à Routchouk passé par les armes des gens suspects. Cyrille fut d’abord étonné de la mission qu’on lui confiait. Toutefois il se déclara prêt à la remplir, et s’estima heureux d’avoir à servir dans une circonstance si importante le père de Kyriaki. Il sentit une vive émotion quand le pope, le regardant fixement et appuyant sur ses paroles, lui dit :

— Je crois, mon garçon, que Kyriaki sera contente de toi, si tu réussis. Vois-la avant de partir : elle t’encouragera et se montrera reconnaissante du service que tu nous rendras.

Eusèbe fit alors apprendre par cœur au jeune Bulgare la note qu’il avait écrite, et où était contenu tout ce qu’il voulait faire savoir à Kroulof. Enfin le pope donna à Cyrille un anneau formé de deux parties qui se recouvraient, et qui était un signe de reconnaissance destiné à l’accréditer auprès du général. Puis il lui recommanda de partir la nuit suivante.

Dans la journée, Cyrille revint chez Eusèbe. Il était fier, heureux, résolu. Il rencontra Popovitza. Celle-ci, sans rien dire, le mena, à travers la maison, dans le jardin qui bordait le Danube.

— Je viens te dire adieu, dit-il.

— Je connais, répondit-elle, la mission que mon père t’a donnée; je sais que tu vas exposer ta vie pour la remplir.

— Je le fais, reprit-il, pour servir la Panagia, pour être utile aux gens de ma nation; je le fais surtout pour l’amour de toi.

— Sois prudent, ajouta-t-elle.

— J’ai tout combiné pour réussir, dit Cyrille. Je voudrais avoir mille fois plus de dangers à courir pour mériter ton estime.

— Nie tout, si tu es surpris, et ne perds pas mon père.

— Je nierai jusqu’à la mort!

Popovitza regardait le jeune homme, dont les yeux exprimaient un dévouement si entier qu’elle se sentit touchée.

— Je pars cette nuit, reprit Cyrille. La nuit qui viendra après, et les suivantes jusqu’à mon retour, laisse une lumière à cette fenêtre (il montrait une des fenêtres qui regardaient la rive); je sais qu’on peut la voir du Danube. Ta lampe me guidera, elle m’aidera à trouver la petite anse qui est au bas de la falaise et où je veux débarquer à mon retour.

— Je le ferai,-— dit Kyriaki. Puis : — Attends-moi, dit-elle, je vais le donner une branche de buis bénit qui est auprès de ma Vierge.