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tourner ou de le franchir; tout à coup, par une heureuse combinaison, ils se comprenaient, et un rire joyeux saluait leur succès. Henri se faisait raconter la vie de Popovitza, de quelle façon elle élevait ses frères et ses sœurs, comment dans ses journées remplies par les soins domestiques il y avait place pour des rêves audacieux, et il prenait plaisir à voir le feu qui brillait dans ses yeux quand elle parlait des projets de son père. Kyriaki, de son côté, voulait savoir dans quel pays Henri était né, comment on y vivait, s’il avait une mère, s’il avait fait la guerre, s’il avait été blessé. Elle lui demandait si les gens de sa nation ne viendraient pas, ainsi que faisaient les Russes, pour aider les Bulgares à chasser les Turcs, et comme Henri lui disait que, selon toute apparence, les gens de sa nation feraient précisément le contraire, elle le suppliait d’écrire pour les détourner d’un dessein si barbare. La jeune fille interrogeait ensuite Henri sur le rôle qu’il remplissait auprès d’Aurélie; mais ici le capitaine feignait d’être dérouté et se dérobait à l’aide des lacunes de son dictionnaire. Ils parlèrent ainsi longtemps à travers la palissade. Quelques branches de chèvrefeuille et d’aubépine, qui la tapissaient en cet endroit, encadraient leurs visages. Des violettes qui avaient poussé au pied de la clôture, du côté du chemin, leur envoyaient une douce odeur. Sur la fin de l’entretien, Henri les chercha, les cueillit, et indiqua qu’il désirait franchir la palissade pour les offrir à Kyriaki. Il lui était facile de sauter dans le jardin ; mais Popovitza s’y opposa vivement. Comme elle vit qu’il se préparait à enfreindre cette défense, elle s’enfuit brusquement et courut s’enfermer dans la maison.

La nuit était venue. Popovitza, troublée, agitée, s’occupa à la hâte des soins qu’elle prenait chaque soir avant de s’endormir. Elle parcourut la maison pour s’assurer que tout était en ordre; puis, montant dans les chambres du premier étage, elle tira des armoires les matelas sur lesquels les enfans du pope se couchaient chaque nuit. Quand ses frères et ses sœurs furent plongés dans un profond sommeil, elle vint tout éplorée se prosterner devant une image de la Vierge qui était dans un coin de sa chambre et devant laquelle une petite lampe brûlait jour et nuit. C’était une madone peinte grossièrement sur un panneau de bois. Deux panneaux latéraux, tournant autour d’une charnière, pouvaient se rabattre sur le tableau principal; ils représentaient d’une part saint Irénée, de l’autre sainte Pulchérie. Un grand rideau, cachant la Vierge et la lampe, faisait de cet angle de la chambre une sorte de petite chapelle. Popovitza resta longtemps agenouillée, la face contre terre; enfin elle leva les yeux sur l’image sacrée :

— Pardonnez-moi, bonne Panagia, dit-elle, et soutenez-moi, car