Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/851

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’image sainte étaient repoussés par de nouveaux assaillans qui les chargeaient avec de grands cris, et le désordre de ces luttes se communiquait au loin dans les rangs de la procession. Costaki, avec ses affidés, montait la garde dans les rues qui avoisinent le quartier des Turcs. Là, comme dans les forts, tout semblait tranquille. On était arrivé à la deuxième heure (dix heures du soir), et le moment de l’attaque des forts était encore éloigné, quand un incident se produisit qui exerça une fâcheuse influence sur les événemens de cette nuit.

La tête de la procession venait de s’arrêter dans un carrefour où s’élevait un turbé ou tombeau musulman. Un vieux derviche avait eu la fantaisie de se faire enterrer sur cette place, en léguant une petite rente à un homme chargé d’entretenir la tombe et de l’éclairer la nuit. Une balustrade de bois entourait une petite colonne aiguë, terminée par un bonnet de derviche grossièrement sculpté dans la pierre. Dans un des coins de cette clôture était suspendue une lanterne religieusement allumée chaque soir par le gardien du tombeau, un confiseur turc, qui, pour mieux exercer sa surveillance, demeurait dans une des maisons de la place. Pendant que ceux des Bulgares qui étaient en avant stationnaient sur la place du turbé, de nouveaux arrivans voulurent s’établir autour de la Panagia. Une lutte s’engagea, et dans la mêlée la balustrade du derviche fut renversée, la lanterne s’éteignit et se brisa. Le confiseur, de sa fenêtre, vit le dégât sacrilège, et, sortant en toute hâte, courut crier vengeance dans le quartier de Mahomet. Aussitôt un grand nombre de Turcs se lèvent, prennent leurs armes et se dirigent vers l’endroit que le confiseur avait indiqué ; mais les premiers d’entre eux, au sortir de leur quartier, rencontrent Costaki et ses gens, qui, fidèles à la consigne donnée et protégés par l’obscurité, cherchent à leur barrer le passage en engageant une querelle. Des injures sont échangées. Bientôt on entend partir quelques coups de pistolet.

Voyant les choses prendre une mauvaise tournure, un tcherbadji[1] du quartier turc monta aussitôt à cheval et courut à travers la campagne au khan de Mustapha, situé à deux lieues de Routchouk, et autour duquel étaient campés les bachi-bozouks de Sadyk-Pacha. Le tcherbadji jeta l’émoi dans le camp, et cria aux bachi-bozouks qu’ils eussent à se rendre au plus vite à Routchouk, où les raïas se révoltaient contre les Turcs. Les bachi-bozouks n’avaient pas reçu de solde depuis fort longtemps; ils saisirent avec joie cette occasion de se jeter la nuit sur une ville qui avait la réputation d’être fort riche, et où, puisque

  1. Sorte de chef de section.