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sonnelles qui leur tenaient au cœur. Le jour commençait à baisser quand Cyrille vint à la maison du pope. Il voulait demander à Eusèbe s’il devait fuir, ou si, pour n’exciter aucun soupçon, il ferait mieux d’aller reprendre ses fers. Ce fut Popovitza qui reçut le jeune Bulgare. Elle montra en sa présence le plus grand embarras, répondant mal à ses questions, préoccupée d’une pensée qu’elle n’osait dire. Enfin, comme Cyrille, déconcerté par cet accueil, allait se retirer : — Viens avec moi, lui dit-elle; il vaut mieux que je te parle aujourd’hui que plus tard. — Elle le conduisit dans le jardin, et s’arrêta dans l’endroit où elle lui avait dit adieu huit jours auparavant, le soir où il s’apprêtait à passer le Danube pour obéir aux ordres d’Eusèbe.

— Ici même, lui dit-elle, il y a une semaine, tu m’as quittée, et je t’ai donné mon anneau. Pardonne-moi si j’ai agi avec légèreté. Je ne puis pas être ta femme, Cyrille, et je demande que tu me rendes cet anneau.

Cyrille ne répondit pas ; mais, s’appuyant contre un arbre, il baissa la tête et se mit à pleurer. Popovitza, n’osant le regarder, restait debout devant lui, les yeux fixés à terre.

— Tu t’en iras pour quelque temps, dit-elle enfin doucement. Cela vaut mieux pour toi en ce moment ; la prudence l’exige. Tu ne penseras plus à moi... Rends-moi l’anneau, ajouta-t-elle de sa voix la plus caressante.

— Jamais ! dit Cyrille en essuyant ses larmes. Ton père m’a promis que tu serais ma femme. Ne me l’as-tu pas promis toi-même, fille impudente? Ose tout avouer. Aussi bien je sais tout! Il suffit donc qu’un étranger vienne et te regarde pour que tu me méprises! Que t’a-t-il dit, cet homme qui ne sait pas notre langue?

— Plus bas, Cyrille, plus bas! dit Popovitza; ne t’irrite pas ainsi!

— Ah! tu me demandes que je reste bien humble, bien obéissant pour que tu puisses plus facilement te jouer de moi! Cyrille, mon esclave méprisé, rends-moi mon anneau! Veux-tu aussi que j’aille le chercher, ton voyageur franc, et que, comme un chien fidèle, je fasse le guet autour de vous pendant que vous parlerez ensemble !

Effrayée de l’agitation qui s’emparait du Bulgare, Popovitza s’était reculée peu à peu, et, rencontrant un banc, s’y était assise. — Cyrille, je ne t’ai jamais vu ainsi ! tu me fais peur !... Va-t’en ! dit-elle en détournant la tête et en cachant son visage dans ses mains.

— Que je m’en aille! Oui, que je retourne dans mon cachot! C’est ce que tu désires. J’y étais bien, n’est-ce pas? Pourquoi en suis-je sorti comme un trouble-fête quand on ne songeait déjà plus à moi? Eh bien! j’y retournerai dans ce cachot, j’irai me livrer de nouveau; mais auparavant je le tuerai, lui d’abord! puis j’irai me montrer