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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/899

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vres diables s’étaient réunis en société pour rechercher ce trésor imaginaire, et notre mineur s’était joint à eux. Avec quelle ardeur, avec quel accent de conviction le malheureux racontait les péripéties de ces fouilles! Ils avaient trouvé le puits, constaté les marques d’un travail antérieur, creusé jusqu’à plus de trente mètres, et reconnu l’existence d’un coffre de chêne. Leur sonde en traversait les épaisses parois, et arrivait dans un milieu moins résistant dont leur imagination faisait un monceau de pièces d’or. L’invasion de l’eau avait alors interrompu les travaux; mais ce n’était, selon lui, qu’une preuve de plus, car cette eau ne pouvait venir que d’une galerie pratiquée par les pirates du fond du puits jusqu’au rivage. Pour lui, son dernier sou était dépensé ; il avait quitté son île pour les mines, mais avec la ferme intention d’y retourner dès que ses gains le lui permettraient. Le trésor du capitaine Kidd était désormais pour lui un article de foi; il l’eût enfoui lui-même que ses détails n’auraient pas été plus précis. J’ai su depuis qu’à plusieurs reprises déjà ce trésor avait excité des convoitises analogues, que plus de 100,000 fr. y avaient été dépensés dix ans auparavant, et qu’une nouvelle société venait encore de se former pour cette importante découverte, au capital de cent actions de 125 francs l’une. Soixante-cinq hommes et trente-cinq chevaux y travaillaient nuit et jour, et avaient atteint une profondeur de plus de 40 mètres; mais le vétéran de Californie, le mineur de Laurence-Town, avait-il réussi à prendre place au banquet? Je l’ignore; à coup sûr, nul n’en était plus digne.

On rencontrait peu d’Acadiens aux mines, et l’on n’y voyait pas un Indien. Ces débris d’un autre âge sont restés fidèles aux occupations de leurs pères. Les premiers ne vivent que d’agriculture et de cabotage, car la mer est leur seconde patrie, tandis que la chétive et nomade existence des Mic-Macs ne repose encore aujourd’hui que sur la chasse et la pêche, comme au temps où la fumée de leurs wigwams était dans le pays la seule trace de vie humaine. « D’où venez-vous? demandais-je à une pauvre vieille squaw ratatinée comme un raisin sec, qui étendait sur des piquets la peau d’un caribou fraîchement écorché. — Du haut du Cap-Breton, et nous partirons à la prochaine lune pour les bois de l’intérieur, » me répondit-elle en étendant la main vers le couchant. C’est là toute leur vie. On les rencontre parfois dans les rues d’Halifax, où ils viennent vendre quelques objets de curiosité; ils y semblent dépaysés. Plusieurs d’entre eux balbutient le français, car ces pauvres gens, dont le concours ne nous a jamais fait défaut au temps de nos luttes avec la Grande-Bretagne, se plaisent à retenir quelques bribes du langage qu’ont parlé leurs pères. Les Anglais semblent les regarder comme des êtres d’une race inférieure, doux et inoffensifs; mais ils s’en oc-