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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/926

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Quand on la contemple, non du sommet d’un promontoire, mais simplement du bord de la plage, on ne distingue pas même en son entier le rivage opposé : quelques bouquets de pins, séparés les uns des autres par la ligne blanche des eaux lointaines, semblent former un archipel ; le fleuve a pris l’apparence d’une mer semée d’îles et d’îlots. À ce spectacle grandiose, formé par la nappe immense de l’estuaire, s’ajoute le panorama de Saint-George avec ses dunes pittoresques, ses belles forêts et ses falaises surplombantes. La plage de Saint-George possède un charme secret pour retenir ou ramener tous ceux qui l’ont une fois visitée. C’est là peut-être le sens d’un ancien proverbe oublié de nos jours, d’après lequel tout homme qui avait détaché pour s’en nourrir un coquillage des rochers voisins était à jamais retenu comme par un aimant et ne pouvait plus abandonner le gracieux hameau.

Au point de vue hydrologique, la Basse-Gironde est plutôt un bras de mer que l’embouchure d’un fleuve. Il est important qu’on entreprenne bientôt une série d’observations régulières sur les eaux de l’estuaire pour connaître exactement la proportion de salure qu’elles contiennent dans leurs diverses couches à toutes les heures du flot et à toutes les saisons de l’année depuis la période de la crue jusqu’à celle de l’étiage. Le travail que de savans explorateurs américains ont achevé d’une manière si complète pour le Mississipi, ce « père des eaux » du Nouveau-Monde[1], il serait temps qu’on l’exécutât aussi pour le fleuve de notre vieille Aquitaine ; il serait temps qu’on sût enfin, avec tous les détails exacts de nombre et de mesure, comment s’opère dans la Gironde le mélange des eaux transparentes de la mer et des eaux chargées de boue que la Garonne et la Dordogne apportent dans leur commune embouchure. Quoi qu’il en soit, il est certain que l’eau de l’estuaire est très fortement salée jusqu’à une grande distance en amont de Royan. À 10 kilomètres à l’est de cette ville, dans la conche vaseuse de Méchers, jadis recouverte par les eaux, on exploite des marais salans qui produisent chaque année environ 40 tonnes d’excellent sel. Sur la plage de la même conche, on a établi en 1800 des claires dans lesquelles on a déposé plusieurs milliers d’huîtres. Ces mollusques ont parfaitement prospéré, et l’huîtrière compte déjà plusieurs millions de petits habitans : il faut donc que l’eau du fleuve soit en cet endroit beaucoup plus salée que celle de la mer Baltique et même du Cattégat, ainsi que le prouvent les récentes expériences de M. de Baer sur le degré de salure nécessaire au libre développement de l’huître.

  1. Voyez le rapport si remarquable du capitaine Humphreys et du lieutenant Abbot, publié par ordre du gouvernement fédéral.