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cations de contours subies par la plage maritime de la péninsule. Un groupe d’écueils, connu sous le nom de rochers de Saint-Nicolas, a défendu comme un bouclier la partie la plus avancée de la côte ; mais au nord et au sud de cet éperon les flots de la mer n’ont cessé de ronger et d’emporter les dunes. D’un côté, c’est la Pointe-de-Grave que l’assaut des vagues force à reculer; de l’autre, c’est l’anse des Huttes qui s’arrondit de plus en plus aux dépens de la chaîne des dunes.

On sait exactement de combien se sont déplacés les rivages depuis l’année 1818. À cette époque, la Pointe-de-Grave s’avançait dans le golfe de Cordouan à 720 mètres au nord-ouest de sa position actuelle. De 1818 à 1830, elle recula de 180 mètres, ou de 15 mètres par an. De 1830 à 1842, elle perdit annuellement près de 30 mètres. De 1842 à 1846, lorsque les ingénieurs avaient enfin engagé la lutte contre la mer, les flots, dans leur marche triomphante, avancèrent de 190 mètres, c’est-à-dire de près de 48 mètres dans une seule année. Maintenant on jette la sonde à plus de 10 mètres de profondeur là où naguère la plage développait ses contours. Toutes les constructions élevées à l’extrémité de la pointe ont dû être successivement démolies et réédifiées dans l’intérieur de la presqu’île. Le phare de Grave en est à son troisième emplacement, et, pour se mettre à l’abri contre l’assaut des flots, a dû se réfugier à plusieurs centaines de mètres derrière la racine de la jetée. L’ancien fort qui défendait l’entrée de la Gironde a été également renversé par les vagues, et l’on aperçoit encore, aux plus basses mers des équinoxes, des canons et des mortiers gisant sur le sable humide. En 1846, la largeur du détroit qui sépare l’écueil de Cordouan de la péninsule du Bas-Médoc s’était exactement accrue d’un dixième dans l’espace de vingt-huit années. Si pendant les siècles précédens l’érosion graduelle des rivages se fût opérée avec la même rapidité, deux cent cinquante années environ eussent suffi pour le creusement de tout le détroit, et le rocher de Cordouan eût encore fait partie du continent en 1566, moins de vingt années avant l’époque où Louis de Foix travaillait à la construction du phare[1]. Or, comme on ne saurait douter que Cordouan ne fût alors bien certainement une île déjà ancienne, il est évident que les progrès de la mer étaient jadis beaucoup plus lents qu’au commencement de ce siècle. Il est probable que la violence des vagues se brisa longtemps, et peut-être pendant des centaines d’années, contre l’ancienne Pointe-de-Grave, qui est aujourd’hui remplacée par le Platin, banc de sable et de gravier situé à plus d’un kilomètre au nord--

  1. Sur une carte de 1630, on lit que la distance de Cordouan à la côte de Médoc était de cinq mille pas, ce qui équivaut à 5,400 mètres environ. De nos jours, la distance est exactement de 6,950 mètres.