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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 42.djvu/958

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Mantoue le droit de prendre les armes et le nom de Gonzague. Au moment d’arriver à l’héritier actuel, le majorat des Myszkowski avait été démembré et vendu en partie à la faveur des lois civiles qui régissaient le duché de Varsovie, pour faire face à des dettes de famille. Or ce démembrement, la mère du marquis d’aujourd’hui ne l’acceptait pas; elle revendiquait pour son fils, au nom du droit féodal, l’intégrité du majorat, et en prévision des luttes qu’il aurait à soutenir le jour où il prendrait lui-même la direction de ses intérêts, ce jeune homme recevait une éducation forte et soignée. On lui inculquait des qualités toujours rares même parmi les Polonais, surtout peut-être chez les Polonais : la patience, la persévérance dans les projets, aussi bien qu’une économie qui a pris quelquefois un autre nom en Pologne. Il avait des maîtres qui firent de lui un légiste habile, un humaniste savant, et au besoin un orateur, de telle sorte que le marquis Wielopolski se trouvait tout à la fois avec une fortune confuse à disputer et toutes les armes d’une intelligence naturellement supérieure, développée par une vigoureuse éducation. Le marquis eut en effet une multitude de procès, où le plus souvent il se présentait lui-même défendant sa cause avec âpreté, avec éloquence, laissant entrevoir déjà une personnalité énergique et irritant ses adversaires. La question n’est point ici évidemment dans la nature de ces affaires de justice, elle est dans cette vie de lutte qui a réagi étrangement sur le caractère, sur le talent et sur la situation de ce jeune représentant du droit féodal en guerre avec le droit civil moderne. Le marquis Wielopolski a eu tant de procès qu’il a fini par se croire en querelle avec tout le monde, et que tout le monde aussi a fini par se sentir blessé de cette guerroyante humeur. Il en est résulté ce penchant à ne point craindre, à rechercher au contraire ces duels inégaux où il est seul contre tous, et où il se sent d’autant plus fort qu’il est plus isolé.

Lorsque l’insurrection de 1830 éclatait, elle le trouvait au milieu de ces procès qui n’ont fini que bien plus tard, et elle le jetait dans la politique avec cette hauteur d’esprit qui se révèle déjà dans ses dépêches de Londres aussi bien que dans ses discours parlementaires à Varsovie ou dans ses polémiques. En réalité, quelle était sa situation morale au lendemain de la défaite? Il avait vu deux choses redoutables pour une nature comme la sienne : envoyé à Londres, il avait vu l’indifférence de l’Europe devant les plus pressans appels de sa diplomatie; nonce à la diète de Varsovie, il avait vu l’agonie d’une révolution se débattant dans les luttes intérieures à l’approche des Russes. Ce qu’il avait vu dans ces événemens, ce n’était pas le malheur, c’était l’impuissance, plus insupportable encore à son orgueil que le malheur. Il sortait de là avec un ressenti-