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royaume aussi chétif que possible, choisi le roi aussi nul que possible, et fait payer l’argent aussi cher que possible. N’importe! elles croiront toujours avoir été les bienfaitrices de la Grèce.

Ce qui est vrai, et ce qu’il faut savoir dire, c’est que la Grèce ne nous doit rien, absolument rien, et que l’intervention de l’Europe, qui aurait pu être pour elle une source de bienfaits, n’a été en réalité qu’une source de ruine. Les Grecs avaient commencé seuls la guerre de l’indépendance et l’avaient soutenue seuls pendant plusieurs années; les grandes puissances, qui s’appellent, nous ne savons pourquoi, puissances chrétiennes, ne voyaient qu’avec déplaisir une insurrection qui portait atteinte à la précieuse intégrité de l’empire de Mahomet. Ce fut seulement lorsque l’Europe entière, soulevée par le massacre des femmes et des enfans, enflammée par le spectacle de l’héroïsme et du martyre de toute une nation, exaltée par les chants de ses poètes, demanda à grands cris l’intervention, ce fut alors seulement que les gouvernemens firent cesser l’effusion du sang.

Alors les grands faiseurs intervinrent, et ils jugèrent qu’il y avait, selon la formule, « quelque chose à faire. » Réunis autour d’un tapis vert, ils découpèrent sur la carte un royaume grec qu’ils eurent soin de mutiler jusqu’à la dernière extrémité, et duquel ils commencèrent par retrancher les provinces qui avaient pris la plus grande part à la guerre de l’indépendance. Au lieu de comprendre et de seconder ce grand mouvement qui avait soulevé la chrétienté contre l’islamisme, la diplomatie, pétrifiée dans ses protocoles, ne s’attacha qu’à préserver les reliques pourries de l’empire ottoman et à lui rendre aussi peu douloureuse que possible l’amputation qu’elle était obligée de lui faire. Le nouveau royaume grec, ainsi réduit à sa plus simple expression, s’offrit à un prince de Cobourg devenu depuis roi des Belges ; mais le chef et futur patriarche de cette famille de hauts fonctionnaires savait trop bien compter pour se mettre dans une si mauvaise affaire. Il connaissait son monde; il savait que les cours protectrices ne cherchaient qu’à mettre l’éteignoir sur le nouveau-venu, et il refusa d’entrer dans une spéculation malheureuse. Les Grecs ne pouvaient pas alors, pas plus qu’ils ne le peuvent aujourd’hui, rester dans l’état révolutionnaire et à l’état de menace permanente pour la tranquillité de l’Europe. Ils eurent l’humeur conforme à leur fortune et se tournèrent encore vers les grandes puissances pour leur demander un roi.

N’ayant pu empêcher la Grèce de venir au monde, la diplomatie mit tous ses soins à la rendre inféconde. L’orpheline sanglante de la civilisation, comme l’appela Chateaubriand, fut gardée à vue comme une esclave du sérail, et afin d’assurer sa stérilité, les puissances protectrices allèrent déterrer pour elle, au fond d’une cour alle-