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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/143

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avec les races diverses de l’étrange pays où j’étais appelé par mes fonctions à jouer un rôle essentiel.

J’acceptai donc avec reconnaissance l’occasion que m’offrit le rajah d’aller avec son neveu, le capitaine Brooke, réconcilier solennellement deux tribus entre lesquelles de vieilles inimitiés un moment assoupies menaçaient de renaître, et avaient engendré déjà de sérieux griefs, — celle des Sakarangs et celle des Balaus. L’entreprise ne laissait pas d’être délicate, et nous partîmes avec une escorte de cinq cents hommes pour le fort de Sakarang, où commandait alors M. Brereton, chargé par le rajah de tenir en respect les pirates du Batang-Lupar. Il y réussissait à peu près ; mais son autorité récente ne s’étendait guère qu’à la portée des canons qu’il tenait braqués sur cette rivière. Encore arrivait-il parfois, malgré les sentinelles doublées, malgré la surveillance du commandant lui-même, que certaines prahus suspectes, poussées en avant par des nageurs invisibles et prises aux lueurs incertaines de l’aube pour quelques troncs flottans, doublaient la pointe défendue par la petite forteresse. On entendait alors un hurlement de dérision, cri de triomphe lancé par les Dayaks, et le boulet qu’on leur envoyait par manière d’acquit, tandis qu’ils remontaient le fleuve, n’avait guère plus d’effet que cette vaine clameur.

Les Balaus, venus au nombre de mille à douze cents dans leurs longues barques de guerre, s’étaient prudemment arrêtés sur la rivière, à deux milles au-dessous de la ville de Sakarang. Nous les y allâmes trouver avec notre escorte et une foule de guerriers. Ce fut alors que je fis vraiment connaissance avec les Dayaks de mer, cent fois plus sociables, plus braves, plus industrieux que ceux de terre. Petits, mais bien faits, agiles, robustes, façonnés dès l’enfance aux exercices de la gymnastique la plus hasardeuse, ils ont l’attitude fière, le maintien hardi de l’homme prêt à tous les périls. Leur costume national est le chawat, espèce de caleçon élémentaire, morceau d’étoffe roulé autour de la taille et entre les jambes ; mais dans leurs expéditions militaires ils portent des jaquettes en drap rouge, tissées et teintes par leurs femmes, et qui de loin leur donnent un faux air de troupes anglaises. Les femmes de Sakarang passent pour les plus belles de Bornéo. Leur taille est élégante et souple ; leur physionomie, généralement pensive, intéresse à elles. Plutôt jaunes que brunes, mais d’un jaune vif qui annonce la santé, elles ont les yeux noirs et portent très longs leurs cheveux lustrés, plus éclatans que l’ébène poli. Une forte odeur d’amande s’en exhale : c’est celle de l’huile que les jeunes filles apprennent à extraire du fruit appelé katioh. Leurs vêtemens, invariablement tissés par elles avec le coton recueilli dans le pays, consistent en un jupon qui, fixé par une ceinture