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institutions libres ; mais l’abattement n’est pas le doute : que deviendraient les bonnes causes pour l’avocat qui les aurait perdues ? Devrait-il se prendre à douter de la justice et de la vérité ? Tacite et Cicéron savaient à merveille ce que vaut la liberté ; M. Dupin ne l’ignore pas lui-même, et jamais, nous en sommes convaincu, il ne formerait de vœux impies contre elle. Ne lui doit-il pas sa renommée ?

Nous avons insisté sur ce point parce qu’il se lie étroitement à l’objet même de cette étude. Le barreau est une de ces institutions qui ne vivent qu’avec la liberté et ne peuvent s’élever sans elle ; reposant sur le droit de la libre défense, il a toujours eu pour ennemi et pour adversaire le despotisme, qui étouffe les réclamations et voit jusque dans la contradiction et la lumière un danger pour lui[1], Ce que peut le despotisme contre la parole, M. Dupin l’a vu mieux que personne. Au moment où il entrait au barreau, la France, inquiète et silencieuse au dedans, ne savait plus écouter que le bruit lointain des armes. On était encore dans l’enfantement des codes, à peine la défense était-elle organisée devant les tribunaux. Le jeune stagiaire put entendre les dernières plaidoiries des avocats du parlement qui avaient traversé la tourmente révolutionnaire. Étaient-ce donc encore les solennelles harangues d’autrefois ? Non, sans doute ; la polémique ardente, limpide et serrée de Voltaire et des philosophes du siècle dernier, la parole alerte et sobre de Gerbier, les écrits incisifs de Beaumarchais avaient bien un peu changé tout cela, mais beaucoup moins qu’on ne pourrait le croire. Si une nouvelle génération d’avocats s’était formée sous l’influence des grandes discussions de la tribune pendant la révolution, si cette pléiade d’orateurs qu’on entendit alors et qui fondèrent la législation moderne était revenue au barreau, on eût constaté bien d’autres changemens dans le style judiciaire ; mais les écoles de droit avaient été fermées, l’ordre des avocats détruits. Quant aux hommes qui avaient marqué comme orateurs ou légistes, les uns étaient montés sur l’échafaud, les autres, découragés, s’étaient retirés dans les conseils délibérans de l’état et préparaient les nouveaux codes. Le barreau était désert ou sans guides. Comment sortira-t-il de cet anéantissement, de ce tombeau ? Il n’existe ni presse ni tribune ; des écoles se sont ouvertes, mais l’esprit y est comprimé ; le souffle guerrier qui partout s’étend a tout desséché ; on élève des soldats, le pays ressemble à une vaste caserne ; la liberté s’appelle l’indiscipline et la révolte, sinon la révolution. Cependant des jeunes gens sont là, qui ont au fond du cœur et nourrissent d’ardentes aspirations ;

  1. Voyez sur le Barreau moderne la Revue du 1er juillet 1861.