Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/237

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion économique. L’esprit français est ainsi fait qu’un grand nombre d’entre nous s’absolvent de ne point prendre part aux œuvres de charité, sous le prétexte de la stérilité des efforts isolés : triste et froid calcul. Les douleurs matérielles, et morales du dénûment sont une réalité si poignante que la charité, quelles qu’en soient la forme et l’application, est la plus, réelle et la plus vraie des vertus ; tous ses actes sont efficaces, car les plus petits de ses dons peuvent faire luire un rayon de consolation dans le cœur des mères, dans les yeux des petits enfans, sur le grabat des malades. Malheureux ceux qui ne veulent pas connaître la valeur de ces perles de la tendresse humaine, et qui se figurent qu’elles puissent jamais être égarées ! Mais par un contraste bizarre la plupart de ceux qui demeurent inattentifs aux douleurs réelles veulent bien s’occuper des maux de la société dès qu’ils se présentent à eux sous une forme générale et abstraite, sur laquelle on peut échafauder une théorie de philosophie sociale ou un règlement administratif. Eh bien ! si la détresse des ouvriers du coton parle au cœur, elle parle aussi à la raison ; ceux qui, devant cette crise, demeureraient sourds au cri du sentiment sont conviés à y porter un remède efficace par un intérêt élevé de conservation sociale. Le fait social qui ressort pour nous des suites de la crise cotonnière est de la plus haute importance. La richesse d’une société telle que la nôtre est incontestable : la France amasse chaque année de nouvelles et énormes réserves de capital ; toutes les parties de la société sont rapprochées étroitement entre elles et comme fondues par les perfectionnemens matériels de la civilisation. Or il s’agit de savoir si, dans une société semblable, lorsque, par un accident économique, une des grandes cohortes du travail vient à perdre momentanément la faculté de s’assurer par son activité laborieuse sa quote-part ordinaire sur le capital national, c’est-à-dire son unique moyen de vivre, il est possible que cette cohorte du travail soit condamnée en masse non-seulement aux privations douloureuses, mais aux humiliations dégradantes de la misère. Nous répondons sans hésitation : Non, cela n’est pas possible. Il n’y a que deux systèmes pour parer à de telles maladies du corps social, ou le système socialiste ou le système libéral : le système socialiste, qui met à la charge de l’état, par des moyens plus ou moins révolutionnaires suivant les circonstances, la subvention réclamée par le travail en détresse, ou le système libéral, qui, en admettant que la propriété use librement de ses droits, entend aussi qu’elle pratique librement, mais qu’elle pratique ses devoirs, qui veut que les citoyens d’un même pays soient véritablement des concitoyens, qui veut au bienfait du mal réparé joindre le mérite du bien spontanément et cordialement accompli. Le système libéral poursuit dans les questions sociales la réalisation complète du noble programme de notre révolution : liberté, égalité, fraternité. Sur cette devise, nous avons laissé rouiller le mot liberté ; que la fraternité en soit effacée, et il ne resterait en France qu’une poussière d’atomes insensibles et glacés, impénétrable au libre courant des sentimens qui sont le lien vivifiant des sociétés. Nous considérons donc