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où l’Opéra donne le spectacle d’une complète déroute dans les ensembles, et il n’y a rien de plus triste et de plus navrant que d’entendre sur la première scène lyrique de la France Lucie, le Comte Ory ou Guillaume Tell complètement estropiés. Nous aimons à croire que le nouveau directeur aura l’autorité nécessaire pour suivre ses idées et ramener la vie dans ce grand corps usé.

Depuis sa réouverture, le Théâtre-Lyrique exerce avec mesure la puissance de ses séductions dans la nouvelle salle qui lui est échue. Ou y a repris successivement tous les ouvrages de l’ancien répertoire, la Chatte merveilleuse avec Mme Cabel, Orphée avec Mme Viardot, l’Enlèvement au sérail de Mozart, Robin des Bois, le Médecin malgré lui de M. Gounod, et enfin Faust du même compositeur pour la rentrée de Mme Carvalho, que le public a revue avec un plaisir extrême. Faust est jusqu’ici le meilleur ouvrage de M. Gounod, ce musicien ingénieux et délicat, cet esprit fin et un peu alexandrin qui s’ingénie à trouver l’accent des passions qu’il n’éprouve pas. Il nous a paru l’autre soir que les deux années qui viennent de s’écouler depuis la première représentation de Faust, qui a eu lieu le 19 mars 1860, ne lui ont pas été favorables ; Traduit et joué avec succès dans plusieurs villes d’Allemagne et même à Milan, l’opéra de M. Gounod n’est pourtant qu’un opéra de genre bâti à côté du magnifique poème de Goethe. Ni la figure étonnante de Méphistophélès, ni le caractère compliqué de Faust, n’ont été vigoureusement saisis par le musicien ; il a manqué de force et d’originalité dans toutes les grandes situations que lui présentait le poème : la promenade au jardin, la scène de l’église et la Walpürgis.

Ce qu’on peut louer dans l’œuvre de M. Gounod, c’est le chœur des étudians au second acte, le petit chœur syllabique des vieillards et la valse avec accompagnement du chœur, qui est d’un bel effet. La scène où Marguerite trouve la caisse aux diamans renferme de jolis détails de vocalisation qui conviennent bien à la bravoure et au goût exercé de Mme Carvalho ; mais le quatuor de la promenade, qui vient après, est trop court pour la situation unique que le compositeur avait à rendre. Il aurait fallu là un de ces morceaux d’ensemble longuement développés dont chaque épisode est rattaché à une idée unique et saillante qui domine le concert et guide l’oreille. Tels sont le quatuor de Zampa, l’admirable scène de la vente dans la Dame blanche, le trio de la Juive et tous les morceaux d’ensemble des vrais maîtres. Le petit duo d’amour entre Faust et Marguerite se distingue aussi par des harmonies délicates dans l’accompagnement, et il est juste de signaler encore l’hymne d’amour que chante Marguerite après son entrevue avec Faust. Au quatrième acte, on remarque le chœur des soldats et surtout le récit de Valentin mourant en maudissant sa sœur. Telles sont, selon nous, les parties saillantes de l’opéra de M. Gounod, œuvre éminemment distinguée par le soin du style, par une certaine grâce élégiaque, par des détails ingénieux et par l’élévation constante du sentiment de l’auteur, mais dont la conception générale est débile, dépourvue de force et d’originalité.