Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la « phrase, » de toute illusion ; il lui arrive même de reprocher aux contemporains de Mummius des idées « romantiques : » les Romains des « romantiques ! » Il dépouille le sénat de la ville éternelle de toute grandeur, fait du parti populaire du temps des Gracques le même cas que des démocrates de Berlin de 1848 : c’est l’histoire romaine envisagée au point de vue d’un bureaucrate libéral prussien membre de la fraction Bethmann-Hollweg, et il est triste de penser que tout ce travail destructeur, entrepris contre l’idéal républicain en haine de l’idéologie, aboutit à la glorification de César…

Si les autres et nombreux émules de M. Mommsen dans l’art historique sont loin d’égaler sa science, sa verve, son talent, nous dirions presque son génie, ils se piquent au moins de ne pas lui être inférieurs en esprit « pratique. » En général, les écrivains contemporains de l’autre côté du Rhin s’efforcent de plus en plus de s’affranchir des formules embrouillées et pédantesques ; ils voudraient acquérir cette clarté qui est la bonne foi du penseur, selon la parole admirable de Vauvenargues. Ils se posent de moins en moins des questions auxquelles il est impossible de répondre, des questions « sur la mère d’Hécube, » pour rappeler le mot que Tibère en veine de plaisanterie lançait aux pédans de son époque. Ont-ils à traiter un sujet quelconque, ils ne commencent plus par la création du monde, passent même le déluge, et vont assez souvent tout droit au fait. MM. de Sybel, Droysen, Haeusser, Beitzke, Förster, Pertz, s’attachent de préférence à l’étude des âges les plus récens, à l’époque de la révolution et de la glorieuse guerre de l’indépendance, thème inépuisable d’admiration et de louange. Du reste, et jusque dans les écrits sur les époques les plus reculées et les plus inoffensives, la passion du jour ne laisse pas de percer, et telle ardente polémique qui se poursuit aujourd’hui même entre MM. de Sybel, Giesebrecht, Onno Klopp, etc., sur les Hohenstauffen, laisse bien apercevoir au fond l’antagonisme actuel de la Prusse et de l’Autriche.

Mais c’est surtout dans l’épanouissement, inconnu avant 1848, de toute une vaste littérature sur des questions de politique, d’économie, d’administration, etc., c’est dans l’accueil si favorable fait à toutes les branches de cette science que les Anglais nomment la sociologie, qu’éclate la direction prise par le génie allemand depuis les dix dernières années vers le positif et le réel. Quand en 1835 le célèbre professeur M. Dahlmann, mort, lui aussi, récemment, publia sa Politique ramenée sur le terrain des faits, ses savans confrères du monde universitaire en furent presque scandalisés : comment un illustre, qui avait écrit « sur les sources d’Hérodote, » pouvait-il déroger à ce point ? Que les temps ont changé depuis