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l’avenir du monde appartenait à la race germanique et que les nations « romanes » étaient infailliblement vouées à la dégradation et au dépérissement, — et cela s’écrivait dans l’intervalle même de ces deux guerres d’Orient et d’Italie, qui n’ont pas certes montré les nations romanes si près d’abdiquer, ni la nation allemande si disposée à une grande action !

Chose curieuse, dans cette étrange philosophie de l’histoire, M. Gervinus se rencontra, sans s’en douter, avec l’homme qui lui était peut-être le plus antipathique du monde, et dont il devait faire un portrait assurément peu flatteur dans la suite du même ouvrage, — le prince de Metternich lui-même. L’ancien chancelier d’empire et de cour était depuis longtemps revenu dans la capitale de l’Autriche, d’où l’avait d’abord chassé la révolution de 1848. Il n’y prenait plus officiellement part au gouvernement, mais il donnait volontiers et souvent à l’empereur François-Joseph les avis d’une longue expérience, et c’est à ses conseils qu’il faut surtout attribuer la folle précipitation du cabinet impérial dans la déclaration de guerre au Piémont en 1859. Or, si nous devons nous en rapporter à un récent biographe du prince qui a vécu dans son intimité, M. Schmidt-Weissenfels, le patriarche de la diplomatie nourrissait à son déclin de singulières idées sur l’avenir de l’Europe. Il va sans dire qu’il était un admirateur convaincu du coup d’état du 2 décembre ; mais il prédisait toutefois au second empire qu’il trouverait son tombeau en Italie le jour où il y mettrait le pied. Il affirmait du reste que les nations romanes allaient évidemment au-devant de la décadence, et il avait son plan de partage tout prêt pour une France en état manifeste de dissolution : l’Angleterre prendrait le nord, l’Allemagne l’ouest de cet empire, et on formerait du reste de la France deux états séparés : un bourbonnien ayant pour capitale Paris et un napoléonien avec Marseille pour centre ! C’est dans de pareils songes que s’égaraient en même temps l’historien généreux et le diplomate le plus expérimenté de l’Allemagne au début de la « nouvelle ère » et à la veille de la formation du National Verein.


JULIAN KLACZKO.