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partie du gibier avait donc été abattue par le capitaine Mackinson. Celui-ci se montra très gai pendant le dîner, et il se mit à plaisanter son compagnon sur sa fuite.

— En vérité, sir Edgar, dit-il en offrant à celui-ci un verre de porto, les sportsmen de Bombay vont rire de vous ! Quoi ! vous fuyez devant le gibier ?

— Je voulais explorer l’intérieur du pays, repartit sir Edgar.

— Et qu’avez-vous rencontré dans votre exploration ? demanda en riant le capitaine Mackinson.

— Des choses curieuses et nouvelles pour moi… J’avoue que, me sentant fatigué, je me suis endormi sous des palmiers… Je dormais donc d’un profond sommeil, quand un bruit m’a soudainement éveillé… Je me lève, et voilà que j’aperçois devant moi une gazelle de la plus charmante espèce qu’un serpent allait enlacer de ses replis.

— Et vous avez tué le serpent ! Voilà une action chevaleresque et héroïque, sir Edgar ; mais ce n’est pas là ce qui s’appelle chasser. Demandez à Nella le nombre des buffles que j’ai abattus dans les monts Neilgerrhies, et combien de tigres j’ai tués avec ma carabine dans les jungles de Kandeish.

Nella tourna ses grands yeux noirs vers sir Edgar, et, fixant sur lui un regard attristé : — Croyez-moi, répondit-elle, ne vous endormez jamais à la chasse dans notre pays, à moins d’être sûr qu’il y a dans le voisinage quelque ami dévoué qui veille sur vous.

Ayant ainsi parlé, la jeune fille se retira dans la petite chambre qui lui était réservée à l’arrière du bholia. Elle s’y tint renfermée jusqu’au moment où le bruit que firent les matelots malabars en carguant les voiles lui apprit que la barque venait de toucher le rivage. Sir Edgar prit congé du capitaine Mackinson et monta dans son palanquin pour retourner chez lui. Nella et son père regagnèrent leur villa de la même manière. Les porteurs avaient soin de maintenir les palanquins côte à côte. Le capitaine Mackinson, qui était en train de causer, adressait souvent la parole à sa fille. — Voilà une belle et bonne journée, Nella, dit-il quand on fut près de la villa, une partie de chasse comme on n’en fait que dans ces contrées… Je me suis terriblement amusé. Et toi, ma chère enfant ?

— Je suis toujours heureuse de vous accompagner, mon père !

— Notre ami, poursuivit le capitaine, a besoin de se former. Un vrai sportsman ne doit pas avoir ces manières sentimentales, ces élans poétiques… Il faudra que je le mène à la grande chasse pour l’habituer à la fatigue et au danger.

— Pensez-vous qu’il reste encore quelque temps ici ?

— Au moins jusqu’après la mousson, répondit le capitaine, et