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Rousseau, par ses maximes tranchantes, a exercée sur la révolution ? Ces graves lectures n’étaient pas les seules par lesquelles il cherchait à se distraire. « Ma position, écrivait-il, m’a donné ou plutôt a développé en moi un goût que je n’avais pas d’abord ressenti : c’est celui des romans et histoires extraordinaires ; je me jette à corps perdu sur les histoires de naufrages, de famines, etc. Je ne m’entretiens qu’avec des êtres isolés au milieu des mers et sur des débris de vaisseaux, n’ayant d’autres ressources pour se sustenter et n’échappant que par des miracles à des milliers de morts qui les poursuivent. Mes infortunes réelles m’intéressent aux revers les plus fabuleux ; je ne doute plus de rien après ce que j’ai vu. »


III

Cependant la situation de Le Bon et en général celle de tous les hommes poursuivis comme terroristes devenaient de plus en plus graves. Les efforts désespérés et impuissans du parti jacobin pour ressaisir le pouvoir, pour sauver ses chefs compromis, ne faisaient que l’empirer. Après la journée du 1er prairial, dans laquelle un rassemblement factieux s’empara un moment de la salle de la convention, proclama le rétablissement du régime révolutionnaire et fut quelques instans après dispersé par la force armée, la réaction prit une force nouvelle. Six députés qui avaient participé à ce mouvement furent mis à mort, aussi bien qu’un bon nombre de leurs complices, en vertu du jugement d’une commission militaire. Cent autres conventionnels attendaient en prison qu’on statuât sur leur sort. Fouquier-Tinville et quinze membres du tribunal révolutionnaire de Paris avaient déjà expié leurs crimes sur l’échafaud. Le 5 prairial, un conventionnel demanda que l’infâme Le Bon fût jugé militairement comme les révoltés du 1er prairial. Cette proposition souleva des murmures et fut repoussée ; mais le 1er messidor, c’est-à-dire le 19 juin, Quirot, au nom de la commission des vingt et un chargée d’examiner la conduite de l’ancien représentant du peuple, lut à la tribune un rapport très violent qui proposait de le mettre en accusation pour assassinats juridiques, oppression des citoyens en masse, exercice de vengeances particulières, vols et dilapidations. Joseph Le Bon fut admis à se défendre devant la convention ; sa défense occupa quatre séances. Après de vives récriminations contre son accusateur Guffroy, il s’efforça de justifier sa propre conduite par cette allégation banale, qu’il n’avait fait qu’obéir aux lois, aux instructions, aux ordres émanés de la convention et de l’ancien comité de salut public. « J’ai fait en sorte, dit-il, d’être le moins coupable qu’il m’a été possible en exécutant vos lois. Faites des lois justes, et, si je vis encore, vous me les verrez exécuter avec le même dévouement.