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aucun des moyens allégués pour justifier ou excuser sa conduite, pour présenter son caractère sous le jour le plus avantageux ou le moins défavorable. Le lecteur peut donc juger par lui-même si M. Emile Le Bon a réussi, comme il l’affirme, à prouver que son père n’avait aucunement mérité un sort aussi malheureux, et que sa conduite avait été constamment irréprochable. Peut-être aurait-il obtenu plus de succès s’il s’était seulement proposé de mêler un peu de pitié à l’horreur qu’inspire le souvenir de ce grand coupable, s’il nous eût montré ce malheureux homme, dont la première jeunesse s’était passée doucement dans les exercices de la piété et les plaisirs de l’étude, qui à la fin de sa vie devait se montrer capable de courage, de résignation, d’affections tendres, saisi tout à coup, au milieu de sa carrière, par le fanatisme révolutionnaire, enivré par le pouvoir absolu auquel il fut appelé sans transition, sans préparation, dans le moment d’une crise terrible, et jeté ainsi dans les derniers excès du crime qu’il expia ensuite sur l’échafaud après une agonie de quatorze mois. Autant qu’on peut en juger, Joseph Le Bon avait un de ces caractères, si dangereux en temps de révolution, dans lesquels une faiblesse réelle s’allie à une facilité d’exaltation qui leur donne une fausse apparence d’énergie. Une personne qui avait habité l’Artois, non pas lorsqu’il y exerçait son épouvantable dictature, mais à une époque assez rapprochée pour que tous les souvenirs qui se rapportaient à lui fussent encore vivans, m’a raconté une anecdote qui, si l’authenticité en était démontrée, jetterait beaucoup de jour sur son état moral. Il aurait eu la pensée d’émigrer au moment où la révolution commençait à prendre un caractère d’extrême violence ; mais, arrivé déjà sur la frontière avec d’autres ecclésiastiques, un obstacle survenu inopinément l’en aurait empêché, et un de ces ecclésiastiques se serait écrié que, puisqu’il restait en France, il était perdu, qu’on devait s’attendre à le voir arriver aux derniers excès. Cette anecdote, je le reconnais, n’est pas très facile à concilier avec ce que l’on sait de la ligne politique où il s’était placé dès le commencement de 1790. Cependant il n’est pas absolument impossible qu’il y ait eu en lui des momens d’incertitude et d’hésitation. Il est d’ailleurs à remarquer que nous ignorons absolument les circonstances de sa vie depuis 1791 jusqu’après le 10 août 1792, et c’est précisément dans cet intervalle qu’aurait pu avoir lieu sa tentative d’émigration. En admettant au surplus que le fait ait été inventé, on pourrait encore y voir un témoignage de l’idée qu’on se faisait de Joseph Le Bon dans le pays où il devait être le mieux connu.

Il fut donc aussi, dans un certain sens, une victime de la révolution. Ce serait se faire une idée bien incomplète des désastres