fond, ils croyaient sans nul doute, par l’utile fiction des trésors du monde inconnu, susciter un trésor réel, la confiance, le crédit, le commerce, l’industrie, la circulation. Passant et repassant, par vente et par achats, les produits plusieurs fois taxés allaient doubler, tripler l’impôt, enrichir l’état et le libérer, le mettre enfin à même de réaliser ce grand projet d’empire colonial, dont la fiction, quelque fausse qu’elle fût d’abord, n’aurait pas moins donné le premier mouvement.
Les deux affaires, celles de la guerre et de la banque, qui nourrirait la guerre, se décidèrent en même temps le 4 et le 5 décembre 1718.
Le 4 avait eu lieu dans la nuit la révolution financière, la banque de Law déclarée royale ; autrement dit le roi banquier. Le roi, représenté par le régent, rachetait les actions de la banque, reprenait le métier de Law, qui n’était plus que son commis. Le roi recevait des dépôts, le roi faisait l’escompte, le roi tenait la caisse. Mais on pouvait se rassurer : elle serait, cette caisse, bien gardée, vérifiée sévèrement, strictement fermée de trois clés différentes (celles du directeur, de l’inspecteur, du trésorier). On n’émettrait de nouvelles actions que sur un arrêt du conseil. Seul ordonnateur, le régent. Le trésorier finalement placé sous les yeux vigilans et du conseil et de la chambre des comptes.
Le 8 décembre, on arrêta l’ambassadeur d’Espagne Cellamare : pas décisif qui impliquait la guerre. Le 27 décembre, le jour même où les Anglais la déclarent à l’Espagne, le roi, dans son nouveau métier de banque, agit violemment comme roi, proscrit l’argent pour forcer de prendre ses billets. Ordonné qu’à Paris et dans les grandes villes on ne peut payer en argent que les petites sommes au-dessous de 600 livres ; au-dessus, on paiera en or ou en billets. L’or alors était rare ; il fut recherché et devint cher. Les billets prirent la place, débordèrent et inondèrent tout.
La guerre, la banque, à la fois sont lancées : guerre courte, guerre facile, on pouvait le prévoir. Et la banque semblait offrir des ressources infinies, une caisse sans fond où le roi prendrait sans compter.
On ignorait parfaitement en janvier 1719 qu’avant la fin de cette année la France entière prendrait part au système. Je dis la France entière : à la liquidation, quand la majorité s’en était retirée, un million de familles en avaient encore des papiers et les apportèrent au visa.