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race), étonnamment empressés, amoureux, et jusqu’au ridicule courtisans de l’Indienne, si dédaignée des siens, s’en faisaient adorer. Ils n’avaient ni l’orgueil, ni l’exclusivisme de l’Anglais, qui ne comprend que son Anglaise. Ils n’avaient point les goûts malpropres, avares, du senor espagnol, son sérail et ses négrillons. Libertins près des femmes, du moins ils se mettaient en frais de soins et de galanteries. ils voulaient plaire, charmaient et la fille, et le père, les frères, dont ils étaient les hardis compagnons de châsse. La tribu accueillait volontiers le fruit de ces amours, des métis de vaillante race. La femme américaine, se voyant aimée, désirée, se trouvait relevée. Notre émigrant français, roturier en Europe, simple paysan même, était noble là-bas. Il épousait telle fille de chef, parfois devenait chef lui-même.

Les esprits les plus positifs, Coligny, Henri IV, Colbert, avaient cru que notre Français (et surtout celui du midi) était très propre aux colonies, qu’un petit nombre de Français aurait créé un grand empire colonial. Comment ? En se greffant par mariage sur le peuple indigène, en le pénétrant d’esprit européen : véritable colonisation, qui eût sauvé et transformé la race de l’Amérique, que le mépris sauvage des Anglais a exterminée. Ils ont fait une Europe, c’est vrai, mais supprimé l’Amérique elle-même, anéanti le genins loci. Ce qu’il aurait eu de fécond dans son mariage volontaire avec la civilisation, cela a péri pour toujours : crime contre Dieu, contre Nature ! Il sera expié par la stérilité d’esprit.

Les jésuites, rois du Canada, maîtres absolus des gouverneurs, avaient là de grands biens, une vie large, épicurienne (jusqu’à garder de la glace pour rafraîchir leur vin l’été). Ce très agréable séjour était commode à l’ordre, qui y envoyait d’Europe ce qui l’embarrassait, parfois de saints idiots, parfois des membres compromis qui avaient fait quelque glissade. Ils n’aimaient pas qu’on vît de près les établissemens lointains qu’ils avaient au cœur du pays, qu’on vînt se mettre entre eux et les troupeaux humains dont ils disposaient à leur gré. Colbert se plaint à l’intendant de ce qu’ils empêchent les sauvages de se mêler aux Français par mariage ou autrement Si ce monde fût resté ferme, ils auraient là fait à leur aise ce qu’ils ont fait au Paraguay, une société singulière où les sauvages, devenus écoliers, auraient été la matière gouvernable la plus agréable du monde (comme leurs imbéciles du sud dont parle M. de Humboldt). Seulement ces moutons n’auraient pu se garder des loups, lutter avec les fières tribus restées sauvages. Une terrible expérience fut celle du vaillant peuple des Hurons, qui, à peine christianisés, tombèrent dans une énervation telle que les Iroquois l’anéantirent (1650).