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du contact dangereux des jésuites, des intrigues des missions. Il était devenu une espèce de roi ; s’était fait un trésor pour les cas imprévus, était estimé, redouté. De tels chefs, leurs enfans, heureusement mêlés des deux races, seraient restés tributaires de la France pour avoir son secours contre les Iroquois.

On ne pouvait rien faire en Amérique que par la liberté. Les esprits généreux, humains, Coligny, Henri IV, Vauban, auraient voulu en faire un grand refuge des persécutés du vieux monde, de tant de gens qui, pour cause de religion ou autre, étaient déterminés, sans espoir de retour à changer de patrie. Il fallait des colons libres et de Versailles et de l’administration détestable du Canada, des commis, des missionnaires. En 1712, on imagina de céder au banquier Crozat, créancier du roi, ce qu’on appelait la Louisiane (la plus grande partie des États-Unis d’aujourd’hui). Crozat, homme d’esprit, agit avec intelligence, n’envoya que de sages et honnêtes cultivateurs ; mais il n’était pas libre. Il ne put rien, fut accablé entre l’Espagnol et l’Anglais, se trouva trop heureux en 1717 d’abandonner son privilège, qui passa augmenté à la Compagnie d’Occident.

Law avait justement tout ce qui manquait à Crozat. Il était protestant. Sa personnalité, hautement impartiale et généreuse, donnait confiance. En prenant pour caissier et principaux commis le réfugié Vernezobre et d’autres protestans, il annonçait assez la libéralité d’esprit qui présiderait à ses établissemens. Le régent lui donnait, on peut le dire, carte blanche. La compagnie, indépendante de la vieille administration, devait nommer elle-même les magistrats, les officiers des troupes coloniales. Elle faisait la paix et la guerre avec les sauvages. Elle pouvait construire des vaisseaux de guerre. Elle occupait non-seulement le long cours du Mississipi, mais ses affluens, qu’on lui cédait encore. Sa direction intelligente se marque par deux choses. On remonta le fleuve, et dans une situation dominante, admirable, on fonda la Nouvelle-Orléans, la reine du bas Mississipi. Pour le fleuve central, Law ne comprit pas moins l’importance de la grande position ; il l’occupa personnellement, s’établit chez les Illinois.

Son plan était-il chimérique ? Le mauvais succès l’a fait dire ; mais Law ne périt en Amérique que parce qu’il périt en Europe. S’il eût duré et dirigé lui-même ce qu’il venait de commencer à peine, les résultats pouvaient être meilleurs. Sa colonie, qui partait du midi, eût exploité une belle source de bénéfices que le Canada n’avait point, la riche culture du tabac. Dira-t-on que les nôtres étaient des paresseux, peu propres à la vie agricole ? Mais ceux qui profitèrent de leur désastre, ceux que le tabac enrichit tellement dès