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la voie législative ! Ce projet de crédit ne supposerait-il pas que la charité privée ne peut point faire en France ce qu’elle a fait en Angleterre ? Ne ferait-il pas à notre caractère national une injure contre laquelle tous les cœurs français doivent protester ? Est-il sage de recommencer l’expérience des ateliers nationaux ? Ne s’expose-t-on point à décourager par l’intervention de l’état ce mouvement de la charité privée qui commençait à peine ; mais qui se prononçait avec une chaleur pleine d’espérances ? D’ailleurs, avant de déclarer l’impuissance de l’initiative privée, l’administration est-elle bien sûre d’avoir fait tout ce qui dépendait d’elle pour en seconder l’élan ? La France est tenue dans de tels liens, a contracté de telles habitudes que, même quand elle veut agir par elle-même, elle a encore besoin que l’influence administrative s’associe aux efforts particuliers des citoyens ; avons-nous vu jusqu’à présent dans l’œuvre de la souscription rouennaise un essai d’association semblable ? Nous ne parlons pas de l’administration de la Seine-Inférieure, qui a mérité d’unanimes éloges ; mais le vent des autres préfectures a-t-il été favorable à la souscription ? L’empereur s’était inscrit dès l’origine sur la liste des contributions volontaires. Ce grand exemple a-t-il été suivi généralement dans le monde officiel, et n’y a-t-il pas rencontré une apparenté inertie ? Chacun n’a-t-il pas remarqué l’abstention singulière des organes de la presse officieuse dans le mouvement des souscriptions ? Ces nombreuses populations rurales, auxquelles les journaux n’arrivent point, ont-elles été informées au moins par les placards du Moniteur des communes de la triste situation des ouvriers cotonniers et de l’œuvre de charité spontanée à laquelle la France était conviée ? »

Si nous reproduisons ces objections et ces plaintes, c’est parce qu’elles résument ce que l’on nous dit, ce que l’on nous écrit même avec plus d’énergie. Pour notre compte, nous ne nous y associerons que dans une faible mesure. Si l’on a peur du crédit demandé par le gouvernement, que l’on redoublé donc de zèle et d’efforts dans la souscription ; que l’on se mette sérieusement en mesure de réaliser, par les offrandes privées, les dix ou douze millions strictement nécessaires à la subsistance des ouvriers en chômage. Nous ne connaissons pas encore le chiffre auquel sera porté le crédit demandé par le gouvernement ; mais nous savons bien qu’il ne peut être pourvu à ce crédit qu’avec des ressources qui ne sont pas prévues au budget de 1863, que le ministre des finances, pour le bon ordre de ce budget, ne demanderait pas mieux que de n’avoir point à proposer ce crédit supplémentaire, que du moins il sera enchanté si dans la pratique le succès de la charité privée lui permet de ne pas dépenser la totalité du crédit voté. En réalité donc, entre la charité législative et la charité privée, la question demeure entière ; la charité législative peut être considérée comme une réserve à laquelle on n’aura recours que dans la mesure où la charité privée aura laissé sa tache imparfaite. C’est une sécurité, car, quoi qu’il arrive, il est une chose qui ne doit pas être laissée dans le doute et livrée au hasard : c’est le pain quotidien du malheureux ouvrier en chômage. Que la