Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Saint-Louis au Rollon, du Rollon à Saint-Louis, je constatai que les deux routes, exactement suivies, nous éloignaient ou nous rapprochaient, selon le cas, de plus de quinze milles de la côte. Une telle différence ne pouvait provenir des courans ; la détermination de la longitude sur le lieu même du naufrage confirma nos prévisions.

À peine l’équipage et les débris du Rollon furent-ils débarqués à Saint-Louis que l’Etoile repartit pour Bakel. À notre retour, nous reçûmes l’ordre de nous disposer à remplir une nouvelle mission. Malgré les fatigues de l’hivernage, rien ne pouvait nous être plus agréable que la campagne que nous allions entreprendre : conduire à Santa-Cruz de Ténériffe le gouverneur, dont les forces, épuisées par tant d’années passées au Sénégal, avaient besoin de se retremper à l’air vivifiant des Canaries ; pendant son séjour dans l’archipel, faire avec l’Etoile la reconnaissance du banc d’Arguin ; retrouver l’île de ce nom et les canaux qui y conduisaient autrefois de grandes frégates de guerre ; cette reconnaissance achevée, ramener le gouverneur à Saint-Louis : telle était notre mission. Le capitaine du génie Fulcran devait concourir à cette reconnaissance et la compléter au point de vue militaire. Mohamed-Salum, fils de l’ancien cheik des Ouled-bou-Sbaa, tribu qui domine sur les rivages du golfe d’Arguin, devait nous servir d’interprète ; son père avait été assassiné par Ould-Boudda, le cheik des Ouled-bou-Sbaa. Les pensées de vengeance qui remplissaient son exil à Saint-Louis avaient fait accepter avec empressement à Mohamed-Salum l’occasion que lui offrait l’Etoile de revoir son pays, et peut-être d’y préparer son retour. Après quelques jours d’une pénible traversée, nous mouillions pendant la nuit devant la ville de Santa-Cruz, et le 28 septembre 1860, nous appareillions à la voile pour aller atterrir au nord du Cap-Blanc, dont la position, déterminée par les travaux de l’amiral Roussin, devait nous servir de point de départ dans nos reconnaissances du banc, dont l’amiral n’a fixé que les açores occidentales.

Le naufrage de la Méduse, causé par l’incapacité de M. de Chaumareix, a rendu fameux le banc d’Arguin, et cette triste célébrité en a fait longtemps un objet d’effroi pour les navigateurs. Ces parages, vers lesquels d’ailleurs ne les appelait aucun intérêt, sont restés longtemps inexplorés ; ils offrent pourtant une des plus riches stations de pêche de l’Océan, qu’exploitent seuls aujourd’hui les isleños (insulaires) des Canaries. La difficulté d’aborder la côte et d’y vivre, le manque d’eau douce, en empêchant tout établissement européen, leur ont laissé le monopole de cette industrie, qui occupe plus de dix-huit cents matelots. Cependant la pensée est venue plus d’une fois à nos armateurs de lutter avec eux. Au moment même