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n’est pas en cet état qu’il eût obtenu de Buffon la complaisante et pompeuse description que vous savez.

Nous n’avons pas tout dit : le système communal des États-Unis, qui leur coûte la nationalité, n’est pas ce qui leur rapporte la liberté, telle qu’ils l’entendent, c’est-à-dire la souveraineté populaire. Chacun sait comment ce peuple est souverain et par quel phénomène moral les masses font elles-mêmes la loi, une loi sans abus et sans spoliation. À vrai dire, cela n’est pas moral, mais physique; cela tient à une largesse de la nature, à l’abondance de cette richesse qu’on appelle la terre : d’où il suit que ce peuple tout propriétaire n’a nulle raison d’abuser des lois pour le devenir, et que, nanti du plus grand objet de la convoitise humaine, il échappe aux tentations les plus dépravantes d’un souverain indigent. C’est cela, surtout cela, qui fonde la démocratie américaine : le reste est de peu, comparé à cette maîtresse cause.

J’entends bien dire qu’une société peut se confier aux institutions les plus hardies quand elle a un fonds de croyance religieuse et d’éducation politique, comme celui qui supporte la société américaine; mais cette explication ne vaut qu’à l’égard de certains états parmi les États-Unis. Le point de départ puritain et libéral, comme dit M. de Tocqueville, y attribuant presque tout dans ce pays de son observation, est celui de quelques provinces seulement. Il faudrait en croire ici comme partout cet éminent esprit, s’il n’y avait aux États-Unis que la Nouvelle-Angleterre, colonisée et peuplés d’émigrans, Écossais la plupart, qui étaient presque des missionnaires, des martyrs, à coup sûr des patriotes ; mais vous apercevez là bien d’autres régions où affluent chaque jour Allemands et Irlandais avec un sens politique et religieux très différent, très inférieur surtout, sans parler des populations à base française ou espagnole qui préexistaient en ce pays, comme celles de la Floride et de la Louisiane. Comment se fait-il que la démocratie ait pris pied, ait fait fortune également parmi toutes ces diversités? Le ciment qui les a liées de la sorte ne peut être l’influence puritaine, limitée qu’elle est à un seul point, ni même aucune influence morale, puisqu’il s’agit de races et d’éducations profondément distinctes. Quand tout à cet égard est dissemblance et antipathie, il ne reste que les influences physiques, économiques, pour expliquer le règne universel de la démocratie. Or rien n’apparaît dans ce goût que la propriété universelle, la gratuité du sol pour ainsi dire.

On n’insistera pas autrement sur ce point. Un publiciste qu’il suffit de nommer, Macaulay, a démasqué de main de maître ce principe de la liberté américaine. Il l’a fait en démontrant, en prédisant la fin de ce régime, qui sera celle de la terre disponible, alié-