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tres comme pour se protéger. Les terres cultivables sont à une distance de deux ou trois heures de marche, et les solitudes qui les séparent de la ville ne sont guère animées que par le passage de, quelques pasteurs. Qu’on ne s’effraie pas trop cependant de cet aspect désolé de la campagne, les actes de brigandage y sont rares, et l’assassinat qui n’a que le vol pour objet y est un fait presque inouï.

La maison de M. Feralli à Villanova nous offrit une aimable hospitalité, dont nous avions grand besoin pour nous préparer aux fatigues d’une excursion qui devait être dirigée le lendemain vers la forêt de Minutades, un véritable Eldorado bien connu des chasseurs sardes. La plus grande partie de cette forêt appartenait à M. Feralli. Nous partîmes dès le point du jour, et Gian-Gianu ne nous quitta qu’après avoir fait deux milles en notre compagnie et avoir pris rendez-vous pour le mariage d’Antonia Paolesu, qu’on devait célébrer dans une semaine. Docile aux instructions de Gambini, Gian-Gianu s’en retournait à la ferme d’Ossano. Feralli et moi, nous nous avançâmes vers les crêtes boisées qui bornaient l’horizon. Bientôt nous atteignîmes les abords de la forêt de Minutades. Un bouquet d’arbres séculaires nous séparait d’un large ravin cultivé qu’un noir rideau de chênes entourait de toutes parts. Sur la lisière de ces bois épais, un petit bâtiment construit en planches marquait le centre de l’exploitation forestière de M. Feralli. Nous n’y fîmes qu’une courte halte. M. Feralli voulait me servir de guide dans une promenade à pied à travers les taillis voisins de sa ferme, et j’acceptai avec empressement sa proposition.

Ce que sont les forêts de la Sardaigne, nul ne peut l’imaginer dans nos pays, où la misère, le caprice, la spéculation, dépeuplent à l’envi toute région boisée de quelque étendue. Il y a là des chênes dont la cime verdoyante abritait peut-être les rites de la civilisation étrusque. Ce sont partout des enchevêtremens si touffus de ramées si énormes que vous chercheriez vainement sous le ciel le plus pur une échappée vers le soleil. On se sent comme noyé dans l’ombre humide. De larges voies, des sentiers battus, vous les chercheriez en vain à travers le dédale de ces colonnades désordonnées. Pas d’autres routes ici que les sillons creusés par les torrens, pas d’autres ponts que les troncs dépouillés et blanchis couchés par la tempête en travers des ravins. Un vent dont le souille est presque insensible sous ces couverts épais remplit l’espace d’un sourd et incessant murmure. Les feuillages de temps à autre s’entre-choquent avec des bruits métalliques. La nature semble avoir gardé dans ces déserts des forces, des mouvemens, des harmonies qui lui manquent ailleurs. On a vu dans ces régions presque inexplorées de la Sar-