Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/617

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis on rentra dans la maison, et le reste de la journée se passa en nopces et festins.

Le lendemain, jour fixé pour le mariage, les deux familles se rendirent après la messe à la maison de l’épouse, où était servi le repas nuptial. C’est à ce repas que les deux époux, pour la première fois assis l’un à côté de l’autre, mangent le potage non-seulement dans la même assiette, mais avec la même cuiller. Après le dîner, on amena deux chevaux richement harnachés. Les époux montèrent en selle. Les joueurs de lionedde exécutèrent une marche du pays, et le cortège s’ébranla de nouveau pour retourner à la maison Sanarès. La mère attendait sa belle-fille sur le seuil de la porte et la conduisit dans la grande salle, vers une haute chaise à bras où elle s’assit, les pieds sur un escabeau. Antonia devait rester ainsi, immobile et grave, jusqu’au repas du soir, attendant sur ce trône domestique les complimens et les hommages des parens et des invités.

A peine venait-elle de s’y asseoir, qu’au milieu de l’assemblée joyeuse apparut un groupe dont l’aspect contrastait étrangement avec cet appareil de fête. Gambini venait d’entrer, suivi de sa fille Efisa : — Gambini, le fusil sur l’épaule, enveloppé d’un long caban noir; Efisa vêtue de noir aussi et portant sur la tête, au lieu du gracieux péplum de soie, un lourd manteau de laine brune; — Gambini, sombre, taciturne, le regard animé d’une sourde et terrible fureur; Efisa, pâle, tremblante, et les yeux entourés de cette auréole bleuâtre qui annonce les veilles et la fièvre.

— Sanarès, dit Gambini en s’adressant au chef de la famille, Villanova est en fête, toutes les maisons sont closes parce que les maîtres sont tes convives. Ma maison à moi est fermée depuis longtemps par le deuil. Il faut donc que je vienne ici te demander asile pour un hôte que nul n’attend au milieu de la fête!... Viens, Sanarès, venez aussi vous tous, frères Paolesu, — car pour aujourd’hui cette maison est la vôtre, — venez recevoir celui que vous envoie la colère du Seigneur...

Je fus l’un des premiers à me précipiter dans la cour. Devant la maison, au milieu d’une foule compacte et bruyante, était arrêtée une charrette traînée par deux bœufs. Sous les plis du drap noir qui couvrait la charrette se dessinait la forme d’un cercueil. Gian-Gianu et deux bergers, tous trois à cheval et armés de fusils, se tenaient derrière le char. Gambini, arrivé sur la place presque aussitôt que moi, vint saisir l’un des bœufs par les cornes et conduisit la charrette dans la cour, tandis que Gian-Gianu et les bergers écartaient les curieux. La porte refermée, et deux serviteurs des Sanarès ayant apporté une civière, Gambini souleva le voile qui cachait le mort... Je reconnus Sercomin.