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fussent fort irrégulières et qu’il lui arrivât souvent de partir au milieu de la nuit pour aller de l’une à l’autre de ses propriétés, cependant ces allures mystérieuses avaient jeté Gian-Gianu dans une grande perplexité; les suppositions s’éveillaient en foule dans son esprit, et il ne parvint à s’endormir que fort tard, vaincu par la fatigue de son agitation intérieure.

Vers trois heures du matin, il fut réveillé en sursaut par un coup frappé violemment à la grande porte de la ferme. Il alla en hâte ouvrir, aucun domestique n’étant encore levé. Deux hommes entrèrent : c’était Beppo et un berger du madao de Morones. Beppo venait demander un matelas, des linges et les autres objets nécessaires au pansement d’un blessé qu’il avait, disait-il, relevé sur la route et transporté à ce madao. Pour ne pas éveiller Efisa, Gian-Gianu prit un des matelas de son fit et se munit d’une petite trousse de chirurgien et d’un paquet de linges et de charpie qu’il trouva dans la chambre de Gambini. Sur la demande expresse du blessé, il emporta aussi tout ce qu’il fallait pour écrire. Beppo et le berger étaient venus sur le même cheval; le berger l’enfourcha seul cette fois, et, après avoir fixé le matelas enroulé devant lui, partit au galop. Cinq minutes après, Gian-Gianu et Beppo avaient sellé deux chevaux et couraient sur ses traces. Pendant le trajet, Gian-Gianu questionna son compagnon. — Connais-tu le blessé? lui demanda-t-il.

— Oui, répondit Beppo, c’est un de ces officiers envoyés dans l’île, qui étaient encore, il y a trois semaines, à Monteleone. J’ai chassé avec eux, il y a trois jours, à Minutades. La blessure est mortelle. Il peut vivre quelques heures encore, tant que le sang ne l’étouffera pas. La balle est dans le poumon.

— Et tu n’as pas vu celui qui l’a frappé?

— Non.

Ce laconisme parut suspect à Gian-Gianu, qui espéra faire parler son discret compagnon en ayant l’air de reporter tout à coup ses soupçons sur lui. — Ah çà! et toi, dit-il, que diable fais-tu ici à pareille heure? Si la montagne est aux bandits, la vallée est aux carabiniers. — Mais avec un accent de sincérité réel ou parfaitement joué, Beppo répondit qu’il était venu accomplir un vœu fait à la madone de Valverde. — Je suis arrivé à Valverde, ajouta-t-il, vers dix heures et demie. Le curé, que j’ai réveillé, m’a fait boire du campidan exquis, si bien que je m’en retournais de fort belle humeur, lorsqu’on traversant le bois de Ribos j’ai entendu un coup de feu dans la direction du casotto de l’oncle des Paolesu. Je me suis jeté à travers la macchia secca, et à vingt minutes du bois j’ai trouvé l’officier étendu dans le chemin creux.