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qu’il abhorrait? La tête en feu, je quittai les frères Paoîesu sans leur répondre. J’ignorais si je ne tuerais pas Efisa, elle aussi; en la voyant, je lui pardonnai. Le soir, j’allai attendre Sercomin. Quand, je le vis paraître dans le chemin creux, je sentis le sang bouillonner dans mes veines. Aucune voix intérieure ne m’avertit que j’allais frapper un innocent. Je n’eus ni doute ni hésitation. Je me postai debout sur la lisière de la macchia secca, d’où j’avais vue à la fois sur la route de Monteleone et sur le chemin creux. Sercomin avait pris ce sentier, qui est le plus court. Dès que je le vis déboucher du maquis à soixante pas devant moi, j’épaulai mon fusil. À ce moment, il m’aperçut sans doute, car il s’arrêta; une seconde après, il était couché dans le chemin, et du même coup je venais de tuer ma fille. Je m’éloignai rapidement et j’arrivai à la ferme de Brà vers deux heures du matin; tu sais le reste. Du moment où j’ai vu Sercomin mort et où j’ai pressenti qu’Efisa le suivrait dans la tombe, j’ai juré que la race des Paolesu s’éteindrait avec la mienne. Tant qu’a vécu mon enfant, j’ai dû différer la vengeance. Obligé de veiller à son chevet, je n’aurais eu ni la liberté d’esprit nécessaire pour combiner un plan, ni les moyens, si une première tentative échouait, d’en préparer une nouvelle. Je craignais enfin, en dénonçant la vendetta aux Paolesu, qu’ils ne parvinssent à faire connaître la vérité à Efisa, et j’aimais mieux leur faire grâce de quelques semaines d’existence que d’encourir l’éternelle malédiction de mon enfant. Maintenant elle est morte, et la vendetta est libre; Gian, mon fils, à nous deux les Paolesu !

Le lendemain, les funérailles d’Efisa se firent à Villanova. Toutes les jeunes filles de la ville étaient allées avec le clergé chercher le corps à Ossano. Dans cette petite ville où elle était aimée et respectée de tous, la mort de cette belle jeune fille avait pris les proportions d’un deuil public. Derrière le cercueil marchaient côte à côte Gambini et Gian-Gianu, l’œil sec, le cœur brisé, unis dans la même douleur comme dans la même pensée de vengeance. Ils étaient suivis d’une cinquantaine de bergers et fermiers de leurs terres. Le corrotto ou fête funéraire se fit chez Feralli.

Ce jour-là même, à la nuit tombée, Gian-Gianu alla frapper chez les Paolesu. Esteban vint le trouver au bout de quelques instans sous le portique de la maison. — Esteban Paolesu, dit le visiteur d’une voix haute et ferme, garde-toi, et que les tiens se gardent! Paolo Gambini et Gian-Gianu vous déclarent la vendetta.

Cela dit, il ne fut pas échangé une seule parole entre ces deux hommes, et Gian s’éloigna en écoutant si personne ne suivait sa trace. Le lendemain Gambini et Gian-Gianu retournaient à Ossano. Leur premier soin, la guerre étant ainsi déclarée, fut de faire sur-