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les choses opposées à l’ascétisme hargneux du moyen âge ne font qu’un pour lui en apparence. Comme le principe religieux du moyen âge était l’anti-nature, elles sont l’anti-religion, l’anti-christianisme. Ce qu’il se borne à y apercevoir, ce qu’il y salue, c’est l’avénement du droit moderne, comme il dit, c’est l’esprit de l’avenir, l’idée d’humanité remplaçant celle de croyans et de mécréans. Appelons les choses par leur nom : c’est l’indifférence religieuse, l’incroyance, ou du moins c’est ce qui reste dans les esprits dégagés de toute foi religieuse; c’est la nature, la raison et la religion naturelles.

M. Michelet serait-il donc païen? Il ne craint pas en tout cas de le laisser supposer. Résumant le XVIe siècle dans son histoire, il écrivait : «D’une part l’antiquité grecque et romaine, si haute dans sa sérénité héroïque; d’autre part l’antiquité biblique, mystérieuse, pathétique et profonde, de quel côté penchera l’âme humaine? à qui sera la renaissance? qui renaîtra des anciens dieux? L’arbitre est la nature, et celui-là serait vainqueur à qui elle donnerait son sourire, son gage de jeunesse éternelle. « Suis la nature, » ce mot des stoïciens fut l’adieu de l’antiquité. « Reviens à la nature, » c’est le salut que nous adresse la renaissance, son premier mot, et c’est le dernier mot de la raison. »

L’esprit de la nature, les sciences de la nature, la fraternité universelle dans la nature, la liberté par la nature, voilà aussi les derniers mots de M. Michelet, voilà sa foi, la seule qu’il mette à la place de l’ancienne, voilà tout ce qu’il trouve à nous recommander. Je le répète, ce ne sont là pour moi que des mots beaucoup trop vagues. La nature ! le respect de la nature ! — Oh ! certainement, si l’on entend par ces mots la nature extérieure. L’impiété irrémissible du moyen âge, c’est en effet d’avoir placé en elle le principe du mal, de ne pas y avoir aperçu partout le miracle céleste et la divinité du Créateur; mais le mot nature veut dire aussi la nature humaine, et c’est bien là qu’est à la fois la source éternelle de toutes les bonnes inspirations et la source de tout le mal qu’il s’agit pour nous de redouter. Des paroles comme celles de M. Michelet, des formules qui, par leur peu de densité, ne prennent que plus facilement le glorieux aspect d’un idéal sublime de grandeur et de poésie, risquent beaucoup trop de nous cacher ces mauvais côtés de la nature humaine que nous avons à craindre. Elles risquent trop même de nous persuader que nous n’avons absolument rien à craindre, et que la sagesse est de ne prendre aucune précaution.

Pour regretter le livre de M. Michelet, j’ai encore une autre raison dont il faut pourtant que je dise un mot, quoique avec toute réserve. Je serais le premier à défendre l’auteur, si on l’accusait de n’avoir cédé, dans certaines parties de son œuvre, qu’aux entraînemens d’une imagination sensuelle : j’ai même tenu à dire en pre-