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l’antiquité même. Et si l’on prend Descartes, comme il est juste, pour le représentant le plus éminent de la pensée de la renaissance dans notre pays, qui s’est élevé avec une liberté plus superbe contre la puissance des écoles, monumens séculaires de l’histoire de l’esprit humain ? Qui a plus fièrement, soutenu que la science devait dater d’hier et commencer avec lui ? L’ignorance méprisante des faits et gestes de l’ancienne philosophie, l’indifférence systématique à tout ce qu’on avait pensé avant lui, sont au nombre des traits les plus caractéristiques de son génie et de sa doctrine. Il va jusqu’à affecter cette ignorance, lors même qu’il la dément par des réminiscences qu’il n’avoue pas. Il se vante comme de la première de ses découvertes d’avoir aperçu de bien bonne heure qu’il n’y avait rien de bon dans tout ce qu’on lui avait appris. Ainsi ce promoteur de l’esprit français porte gravé sur le front un des signes les plus reconnaissantes de l’esprit de révolution. Vainement semble-t-il en limiter l’empire aux réformes de la pensée, qui, si difficiles qu’elles puissent être, « ne sont pas, dit-il, comparables à celles qui se trouvent en la réformation des moindres choses qui touchent le public. » En comparant ces deux sortes de réforme, il disposait l’esprit à passer de l’une à l’autre. La plus aisée servait de prélude à la plus difficile. C’est par là qu’il peut être appelé le grand instigateur du génie national. Par là il représente toute la philosophie française, même celle qui n’a pas été cartésienne. C’est lui qui enhardit et qui inspire encore ces amis de Voltaire, ces émules de Condillac, tous ces contempteurs du passé qui n’ont tremblé devant aucune nouveauté, et dont les derniers disciples n’auraient balancé à entrer la torche à la main dans aucun temple d’Éphèse.

Pour les sciences proprement dites, cette confiance du présent en lui-même a pu voir son orgueil suffisamment justifié. Là les travaux des devanciers de Copernic et de Galilée peuvent être avec moins de regret rejetés parmi les curiosités archéologiques, et les arrêts de Bacon contre le savoir des écoles ont pu, sans trop de dommage, être à la lettre exécutés. On a pu se dire ignorant à la manière des Lavoisier et des Laplace, et briller encore de la plus vive lumière dans le ciel de la science. C’est une lice où les vainqueurs n’ont pas besoin d’aïeux. La conception de l’univers comme d’un tout qui, les questions d’origines mises à part, se suffit à lui-même, et dont les phénomènes, à quelque heure qu’on les observe, s’engendrent les uns les autres et se succèdent dans un ordre invariable, a enfanté deux idées, l’idée de nature et l’idée de loi, ou si l’une et l’autre n’ont pas été étrangères à l’antiquité, les modernes les ont amenées toutes deux au degré de précision et de puissance qui rattache à l’une et à l’autre tout ce qui tombe sous l’œil de l’observation. La