Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/704

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’étaient adressées la veille à ce comité. Je me joignis à lui. J’étais simple spectateur d’une de ces enquêtes comme plusieurs centaines de personnes en font tous les jours à Manchester et dans toutes les villes frappées par le chômage. Je suis revenu de cette visite vivement ému par le spectacle de la ruine de tant d’existences honnêtes, heureuses et presque aisées, qui, ruinées jour par jour par une lente et impitoyable loi, ont descendu graduellement tous les échelons de la misère. Je suis revenu surtout pénétré de respect pour le courage avec lequel les ouvriers ont combattu dans une lutte sans issue, supportant leurs souffrances avec indépendance et cependant sans haine ni envie contre les classes mieux partagées, ne demandant jamais de secours qu’à la dernière extrémité, et cependant les recevant toujours avec reconnaissance, comme une aide qui ne leur était pas due. Ils ont bien mérité les éloges qui leur ont été donnés en Angleterre, et qui ont tant contribué à y stimuler la charité publique.

Nous gagnons l’un des quartiers habités par les ouvriers. Ces petites maisons en brique grise, à deux fenêtres, ayant un étage et un rez-de-chaussée, dont les longues et monotones rangées donnent d’un côté sur la rue et de l’autre sur une espèce de petite cour, s’appellent des cottages. Un même individu en a souvent construit une file entière, mais dans ces derniers temps beaucoup d’ouvriers ont placé leurs épargnes en faisant bâtir eux-mêmes ou en achetant des cottages semblables, soit seuls, soit en s’associant entre eux pour cela lorsque leurs moyens ne leur permettaient pas de faire autrement. Ces maisons se louent de 6 à 12 liv. sterl. (150 à 300 fr.) par an. Un bail de 10 liv. sterl. (250 fr.) donne au locataire le droit électoral pour la représentation de la ville. Le locataire, ouvrier un peu plus aisé que les autres, ou vieille femme vivant seule, occupe une chambre du cottage, et presque toujours sous-loue les autres à des familles d’ouvriers. Le premier locataire paie à la semaine son propriétaire, et exige de même à la semaine le sous-loyer de ses chambres, qui est généralement de 1 shill. 9 den. (2 fr. 19 cent.) à 3 shill. 6 den. (4 fr. 37 cent.) pour chacune.

L’on conçoit combien la ruine doit se répandre rapidement de proche en proche parmi toutes ces existences dépendant l’une de l’autre, depuis le propriétaire, souvent contre-maître retiré, et l’ouvrier qui loue en bloc le cottage pour le sous-louer en détail, jusqu’à la nurse qui, comme je l’ai dit plus haut, vit au service des locataires, aussitôt que le salaire de l’ouvrier, qui est leur seule base, vient à manquer un instant. L’ouvrier commence par congédier la nurse, puis il ne peut plus payer son loyer, il s’endette vis-à-vis du locataire de toute la maison, celui-ci vis-à-vis du propriétaire, tandis que ce dernier est toujours taxé par les gardiens. Et nul capital