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Les vertus, les mérites que la reine met en lumière avec tendresse et admiration dans l’esprit et le caractère de son époux ne peuvent-ils pas être regardés comme ceux que la reine partageait elle-même, autant qu’elle les chérissait, dans une union où toutes les choses du cœur et de l’àme étaient en commun ? Or, parmi les titres du prince Albert à la sympathie des hommes, un de ceux qui sont rappelés avec le plus de soin, c’est l’amour de la liberté. « Il y a eu peu d’hommes, dit le peintre touchant qui réfléchit son âme dans son œuvre, il y a eu peu d’hommes qui aient eu un plus grand amour de la liberté, dans le sens le plus profond et le plus vaste du mot, que le prince consort. Sous ce rapport, il était encore plus Anglais que les Anglais eux-mêmes. » En Angleterre, l’amour de la liberté est donc considéré par les princes comme le premier de leurs devoirs. Le peintre continue : « Un des traits les plus prononcés de l’àme du prince était le sentiment du devoir. Il était du petit nombre de ceux dans l’esprit desquels ne pénètrent jamais les questions d’intérêt personnel, ou qui les ignorent absolument lorsque l’obligation suprême du devoir se présente à eux. S’il eût été prince souverain, et qu’en un moment de péril il eût adopté une forme de constitution contraire à son inclination ou à son jugement, il y fût demeuré strictement fidèle lorsque les temps calmes seraient revenus. Si un changement eût dû être opéré, l’initiative ne serait pas venue de lui, elle aurait dû être prise par les autres parties au contrat. Il avait trop de magnanimité pour désirer de gouverner, si le pouvoir eût dû être acheté au prix d’une action qui aurait eu la réalité ou l’apparence de la déloyauté. Il n’y a point d’exagération à dire que, s’il eût été placé dans la situation de Washington, il aurait joué le rôle de Washington, ne prenant d’honneurs et de pouvoir que ce qu’il aurait plu à ses concitoyens de lui en donner, et n’aurait aspiré ni travaillé à obtenir rien de plus. » Voilà comment la réciprocité des devoirs entre le pouvoir et la liberté est entendue en Angleterre sur le trône même. Y a-t-il rien de plus éloquent que les paroles que nous venons de citer ? C’est le cri de la conscience sincère d’une reine contemplant l’idéal des vertus royales dans l’image d’un époux qui n’est plus. Et quand elle rêve aux grands cadres de l’histoire où elle eût voulu placer cette figure aimée pour en faire reluire toutes les qualités, le plus beau qui se présente à son imagination est celui où rayonne la sereine figure du fondateur de la république moderne : tant la royauté a compris de nos jours, en Angleterre, que ses droits sont primés par ses devoirs et que son premier devoir est le respect des libertés publiques !

Mais ce dissentiment sur l’interprétation de l’histoire de la liberté anglaise ne nous rend point injustes envers l’empereur. Nous savons distinguer la pensée du chef de l’état des exagérations de quelques-uns de ses agens. Nous sommes convaincus que l’empereur a le souci de la liberté, et que ce nom ne revient pas dans ses paroles publiques comme un vain ornement du discours. La grandeur de sa responsabilité nous garantit la clairvoyance