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moque parfaitement du « qu’en dira-t-on ? » Si vous saviez tout l’esprit, toutes les petites malices que Mlle Patti prête à cette adorable Zerlina, à cette paesanella qui se laisse éblouir un instant par un rayon de l’amour idéal ! Non, non, ce n’est plus là le rêve de Mozart, ce n’est plus Zerlina, c’est une camériste accorte qui écoute avec plaisir les propos galans de monseigneur, et qui ne serait pas fâchée de planter là son fiancé Masetto. Adorable mademoiselle Patti, vous êtes une réaliste, et vous ne laissez rien ignorer aux gens. C’est pourquoi, dans l’air si caressant de Vedrai, carino, vous frappez de la main des petits coups réitérés sur la place du cœur, comme pour dire au public, qui vous passe tout : « Il est là, il est là, ce petit cœur qui est rarement ému ! »


P. SCUDO.


UN VOYAGE DANS LA VALLÉE DU NIL[1].


Autrefois l’instinct des voyages constituait une véritable vocation. On ne partait pas pour revenir à jour fixe, mais pour rester le plus longtemps possible dans les lointaines régions que l’on n’avait pu atteindre qu’à travers beaucoup de difficultés, de fatigues et de dangers. De retour dans ses foyers, le voyageur restait sous le charme de ses impressions et comme étranger en son propre pays. Souvent illettré, il mettait dans ses récits plus de naïveté que de poésie ; son regard n’embrassait guère l’histoire des peuples qu’il avait vus, et il se contentait de décrire avec une exactitude scrupuleuse tout ce qui l’avait frappé durant une lente excursion. Son imagination surexcitée le rendait volontiers crédule ; il répétait sans contrôle ce qu’il avait entendu raconter par des populations ignorantes et portées à voir le merveilleux partout. De nos jours, il n’en est plus ainsi ; on se met en route sans trop savoir pourquoi, pour changer d’air, pour se procurer une distraction ; l’on s’en vante même, et en fin de compte on fait un livre instructif et sérieux. Ouvrez la Vallée du Nil : les auteurs vous diront qu’ils ne savaient guère la veille s’ils devaient aller à Constantinople, à Florence ou bien en Chine. Sera-ce donc sans émotion qu’ils vont aborder la terre sacrée d’Égypte, mesurer la hauteur des pyramides, interroger les ruines de Thèbes ? Leur cœur ne battra donc pas devant ces monumens qui proclament la gloire des âges anciens et le néant des grandeurs humaines ? Ils resteront donc devant les temples des dieux égyptiens et devant la hutte du Nubien aussi impassibles que l’appareil photographique dont ils sont armés ?… N’en croyez rien ; ils sont artistes quand même, et ils sauront bien rehausser par les vives couleurs de leur imagination les noires épreuves que le soleil leur livre. Cette Égypte qu’ils explorent hardiment et presque sans s’étonner, ils l’ont étudiée dans l’ombre des bibliothèques ; ils la connaissent par avance, et ils vont droit au sphinx sans être embarrassés des

  1. La Vallée du Nil, impressions et photographies, par MM. Henri Cammas et André Lefèvre. — 1 vol. in-8o, Hachette, 1862.