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part, les fournitures de l’armée, la fabrication des objets industriels, l’importation et l’exportation des denrées, tout, jusqu’aux douanes de la république. De là ces tiraillemens continuels, ces pronunciamientos, ces révolutions successives qui rendent l’histoire mexicaine des quarante dernières années à la fois si compliquée et si tristement monotone. Cependant le caractère national n’est point avili, et le ranchero mexicain, que sa vie solitaire au milieu des savanes a soustrait presque complètement aux influences corruptrices des grandes villes et des haciendas, montre par son courage, son patriotisme, son désir d’apprendre, ce que pourra devenir le peuple entier, quand il jouira d’une vraie liberté. M. Vigneaux aime le ranchero, ce type idéal du Mexicain, et cet amour même contribue à nous donner confiance dans les appréciations du voyageur. La sympathie est la première condition d’un jugement équitable.

Mais autant les raisonnemens de M. Vigneaux sur le peuple mexicain nous semblent justes, autant nous regrettons les digressions inutiles que l’auteur a cru devoir faire dans le champ de la politique américaine. Il condamne Walker, parce que celui-ci voulait introduire l’esclavage dans la Basse-Californie, au Mexique, dans les républiques de l’isthme, et en même temps il absout les esclavagistes du sud comme s’ils représentaient uniquement les intérêts de l’agriculture et le principe du libre échange contre les préjugés du protectionisme. Comment M. Vigneaux peut-il se refuser à ce fait évident que la cause du flibustier Walker et celle des planteurs rebelles est absolument la même ? Quoi qu’il puisse dire, les faits restent avec leur immuable logique. Il est constant que la conquête du Texas a été entreprise à l’instigation des gens du sud, afin de transformer ce pays en un grand état à esclaves ; il n’est pas moins certain que les planteurs ont déclaré la guerre aux états du nord, non parce que le président Lincoln était protectioniste, ce dont personne ne se souciait, mais parce qu’il s’opposait à l’extension de l’esclavage ; enfin il est également positif que les libres états de l’ouest, plus exclusivement agricoles que ceux du sud, ne songent point à quitter l’Union et luttent contre l’insurrection avec la même énergie que les états industriels. Ce sont là des vérités indiscutables contre lesquelles aucun raisonnement ne saurait prévaloir. Et n’avons-nous pas en outre le témoignage solennel du vice-président de la confédération, déclarant que désormais l’esclavage serait « la pierre angulaire de leur société ? » Ces quelques pages consacrées par M. Vigneaux à la crise américaine devraient donc disparaître de son volume, et l’attention s’arrêterait avec plus de complaisance sur les parties vraiment intéressantes de cet ouvrage, sur celles où l’auteur décrit au lieu de discuter, où il recueille ses souvenirs au lieu de grouper des argumens.


ELISEE RECLUS.


V. DE MARS.