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étendu. Partout le commerce a été le précurseur des banques ; sur ce terrain même, la Grande-Bretagne s’était laissé devancer par d’autres peuples dont elle devait effacer un jour la richesse. Une banque avait été fondée à Venise dès le temps des croisades. D’autres existaient à Amsterdam, à Hambourg et à Gênes, alors qu’il n’avait encore été créé à Londres rien de semblable au célèbre établissement dont l’histoire depuis plusieurs siècles est liée de si près à l’histoire même de l’Angleterre.


I.

Les premiers qui pratiquèrent en Angleterre le commerce de l’argent furent les Juifs : banquiers par instinct, sinon par science et par système, ils eurent à lutter contre la loi du royaume à une époque où le prêt à intérêt était considéré comme usure[1]. On sait comment, après avoir été longtemps persécutés par les chrétiens, ils furent obligés de quitter le royaume. Vers la fin du XIIIe siècle, les Juifs furent remplacés par les lombards (c’est ainsi qu’on désignait alors des marchands venus de Gênes, de Lucques, de Florence et de Venise). Ces derniers s’établirent à Londres dans une rue qui porte encore aujourd’hui le nom de Lombard-street. Comment se fait-il que cette même rue se trouve occupée dans presque toute sa longueur par des banquiers ? Sans doute en vertu de cette mystérieuse loi de succession qui fait que les chapelles chrétiennes ont été volontiers entées dans les grandes villes sur les ruines des temples païens, et les églises protestantes sur les restes des églises catholiques. Ne dirait-on pas que les endroits une fois consacrés par un besoin social conservent ensuite des attaches qui retiennent sur place les institutions du même genre, quoique profondément renouvelées ? Les lombards introduisirent en Angleterre les lettres de change, bills of exchange ; ils prêtaient de l’argent à terme et demandaient 20 pour 100 d’intérêt. Plus tard, sous le règne de Charles Ier ils furent supplantés par les orfèvres, qui, non contens de vendre de la vaisselle plate, se lancèrent dans des spéculations de banque à la suite de circonstances qu’il est peut-être bon de rappeler. C’é-

  1. Outre l’édit d’Édouard le Confesseur interdisant le prêt à intérêt, il y avait encore d’autres obstacles qui s’opposèrent, durant tout le moyen âge, au développement des transactions pécuniaires. Il existait des lois qui défendaient sous des peines sévères d’exporter au dehors la monnaie anglaise. La changer, même dans le pays, contre des monnaies étrangères était considéré comme un privilège exclusivement royal, un des fleurons de la couronne. Dans une rue étroite, appelée aujourd’hui Old change, se tenait alors le bureau du changeur du roi, office of the King’s exchanger, où se rendaient tous ceux qui voulaient obtenir de l’or ou de l’argent anglais contre des pièces étrangères, et vice versâ.