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goût. Que de noms déjà chers au public éclairé ne pourrait-on pas citer encore, si l’on passait en revue tous ces jeunes critiques qui, profondément marqués à l’empreinte de leur temps, s’efforcent de décrire sans prévention et d’apprécier sans parti-pris tout ce qui s’est pensé ou écrit avant eux ! Quelle solidité dans les recherches ! que de vues ingénieuses ! quelle diction vive et colorée ! Mais souvent aussi quelle indifférence décourageante et quelle tolérance illimitée ! J’entends des rapporteurs incomparables ; où sont les juges ?

Dieu me garde de généraliser le reproche, et surtout de l’attacher aux noms qu’on vient de lire ! Comment par exemple oserait-on le placer auprès du nom de M. Scherer quand on l’a suivi dans ses écrits politiques ? Ce n’est donc point à des écrivains qui m’instruisent ou me touchent, c’est à une tendance de l’esprit que je m’adresse. C’est à l’école historico-critique elle-même que je demande si elle est assurée de toujours réserver, dans sa vaste exploration dès faits, l’autorité des idées et la souveraineté des principes.

Ceci peut être éclairci par quelques exemples. Voici le premier. Il est de mode aujourd’hui de dénigrer ce que nos pères appelaient avec les anciens la religion naturelle. Parce qu’elle n’a pas eu son règne historique, on la relègue parmi les spéculations sans consistance, et l’on ne prend pas même la peine d’examiner sur quelles bases elle se fonde, et s’il n’y aurait pas quelque force obligatoire dans les vérités qu’elle établit. Les religions paraissent n’avoir de valeur qu’autant qu’elles sont des réalités historiques, ce qui risque fort de placer leur royaume en ce monde. Chaque secte s’expose à n’alléguer en faveur de sa croyante que la perpétuité indémontrable de l’institution, au lieu d’un caractère de vérité éternelle. Toutes donnent ainsi à leurs adversaires la facilité d’arguer, contre le fond même de toutes les religions, de la variation ou de la diversité de leurs formes historiques, et par conséquent de miner leur immutabilité. Ainsi l’un vous dira que la religion, mobile dans ses manifestations, n’est que le caractère et l’expression d’un âge de l’esprit humain, qu’il nomme, dans la société comme dans l’individu, l’âge théologique. Pour lui, cet âge est passé depuis longtemps ; nous avons même franchi l’âge intermédiaire pour sauter du règne de la métaphysique à l’empire des sciences positives. Il n’est pourtant pas sûr que les faits les plus apparens confirment cette manière de présenter l’histoire intellectuelle de l’humanité. Sans aucun doute, les récens progrès des sciences physiques et mécaniques frappent partout nos yeux et se signalent par de bienfaisans résultats. En même temps la superstition a perdu un peu de terrain, moins qu’on ne le dit pourtant, et, chose plus regrettable, les intérêts matériels font plus de bruit que les intérêts spirituels de la société. On doit accorder