Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 43.djvu/838

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment proclamé. De là vient encore ce travail singulier qui se fait en ce moment au fond de certaines consciences catholiques en faveur de l’infaillibilité papale, déjà admise en fait et qui sera tôt ou tard probablement reconnue en droit. Quand donc les réformateurs orthodoxes s’élèvent contre ce qu’ils appellent des nouveautés, leurs objections ne peuvent pas être mieux accueillies pour le dogme que pour le culte, car les défenseurs de l’église leur font voir dans l’histoire ce développement continu que nous venons d’esquisser, et ils leur montrent qu’on ne fait qu’obéir de nos jours à la même loi qui agissait dès le principe.

Arrivons au troisième point. M. Eugène Forcade a donné dans la Revue[1] un résumé lumineux du progrès de la hiérarchie au sein de l’église. Ici encore une sorte de loi naturelle préside à l’évolution. Dès que dans une société le chef est considéré comme investi d’une autorité n’émanant pas des membres qui la composent, cette société est vouée au gouvernement absolu, car toute résistance viendra se briser contre un pouvoir supérieur d’un autre ordre. La croissance de la puissance royale en France, sous l’ancien régime, en est un exemple frappant. Que sera-ce donc si ce chef peut se dire le représentant de Dieu sur la terre? Ajoutez cet instinct général qui fait que tout corps dont l’existence est menacée se concentre en lui-même, et que toute société en danger demande son salut à la dictature, et vous aurez les causes de la décadence irrémédiable des libertés locales et des envahissemens de la centralisation ultramontaine. Point d’organisation plus démocratique, plus conforme aux principes représentatifs, que celle des églises chrétiennes du premier siècle, et au contraire point de centralisation plus efficace dans son action, mieux liée dans ses parties, plus autocratique dans son essence que celle de l’église actuelle. Jusqu’au XVIe siècle, malgré toutes les circonstances qui avaient favorisé les accroissemens successifs du pouvoir papal, — la résidence à Rome, l’ancienne capitale du monde, le besoin d’autorité, les fausses décrétales acceptées comme l’expression des convictions générales, la lutte victorieuse des pontifes contre l’empire, — les églises nationales avaient conservé leur indépendance; mais quand la réforme éclate et triomphe, le mouvement de concentration se précipite; il est dirigé par ce corps fameux qu’on a pu définir d’un mot, formulant l’idéal même de la centralisation armée pour la lutte. Ni concordats, ni parlemens, ni jansénistes et appelans, ni Bossuet et Louis XIV, dans toute leur puissance, ne peuvent arrêter la marche de l’omnipotence papale, portée en avant par la force des événemens et par le ressort même de l’in-

  1. Voyez les livraisons du 15 août et du 15 septembre 1861.