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que dans l’église la religion s’est de plus en plus matérialisée dans les splendeurs des fêtes, la variété des symboles, la multiplicité des pratiques, hors de l’église le sentiment religieux est devenu plus intime, plus personnel, plus indépendant des formes qui peuvent servir à le manifester; alors que d’un côté s’agrandissait le cercle des questions décidées par autorité dogmatique et soustraites ainsi à la discussion, de l’autre se développait un immense besoin de tout discuter, de tout examiner, sans autre guide que les lois de la raison, sans autre but que de découvrir le vrai. En même temps que là se fortifiait le principe d’autorité et que le pouvoir suprême devenait plus absolu, ici au contraire s’éveillaient l’instinct démocratique et le goût de la liberté. Sans doute de notre temps on est mal venu à prédire l’avenir, et nul ne peut avoir la prétention de déterminer les conséquences d’un événement aussi considérable que la chute de la royauté temporelle du saint-siège. Cependant tout annonce que dans le domaine spirituel cet ébranlement portera l’église à chercher des forces nouvelles non dans une métamorphose qui la rajeunirait trop et la rendrait méconnaissable aux yeux des siens, mais plutôt dans une affirmation plus énergique de son infaillibilité et dans une exagération plus grande de ses principes. L’exaltation des sentimens ultramontains, au moins de ce côté-ci des monts, le réveil de la foi et du mysticisme, les réunions et la propagande du clergé, les besoins de concentration et de dictature en temps d’épreuve, toutes les circonstances résultant de la crise actuelle semblent devoir pousser la papauté dans cette voie. Les vœux exprimés par quelques libéraux sincères, par quelques esprits éminens, ne se réaliseront pas : à leur vif regret, mais à la satisfaction non moins vive des défenseurs officiels de l’orthodoxie, l’église sera probablement après ce qu’elle a été avant. Qu’on s’en souvienne, les plus grandes épreuves, ni la longue résidence à Avignon, ni la réforme, ni la révolution française, rien n’a pu l’arrêter dans le développement de ses principes, rien ne l’a rapprochée encore de la pensée moderne.


EMILE DE LAVELEYE.