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fixer. L’ancien régime n’existait plus; la société nouvelle n’existait pas. L’indépendance nationale, héroïquement défendue, retombait sans cesse en péril. C’était à la fois l’anarchie et la tyrannie, et pas plus de force efficace dans le pouvoir que de liberté sûre pour les citoyens. Bonaparte revint pour devenir rapidement Napoléon, et par lui s’accomplit l’œuvre que la France invoquait vainement depuis la fin de la terreur, la réaction de la révolution par elle-même contre elle-même, c’est-à-dire la consolidation de ses principales conquêtes avec l’abandon de quelques-unes de ses plus légitimes promesses et de ses plus belles espérances.

C’est ici, pour la génération de 1789, la seconde grande phase de sa vie et de son histoire. Dans cette phase, la première place, la place unique appartient à Napoléon. C’est lui qui, dans l’œuvre de construction de la révolution française, a été le chef des travailleurs et l’auteur des événemens. C’est lui qui a reconnu et marqué la route, imprimé et dirigé le mouvement. Dans les momens critiques de leur destinée, les peuples ne peuvent se passer d’un grand homme. S’il leur manque, ou bien ils s’égarent follement, ou bien ils s’arrêtent et tâtonnent en attendant qu’il vienne. Quand Bonaparte vint en 1798, la France reconnut en lui l’homme qu’elle attendait; il marcha, elle le suivit.

Cependant on attribue trop à Napoléon seul le travail et le mérite de cette grande époque; on ne fait pas à ses compagnons, civils aussi bien que militaires, la part à laquelle ils ont droit. Quand il se mit à la tête de la génération qui, de 1789 à 1798, avait possédé la France, cette génération hardie et forte avait acquis l’intelligence de ses erreurs et de ses fautes. Par son retour vers la justice et la vérité, elle servait ses propres intérêts comme ceux de la France; mais c’est beaucoup de comprendre et d’accepter la nécessité de l’ordre moral longtemps méconnu et violé. Constituans, conventionnels, feuillans, girondins, jacobins, modérés, montagnards, tous les partis de la révolution, et, dans tous les partis, presque tous les hommes notables et capables se rallièrent autour de Napoléon, et lui apportèrent, dans son œuvre de réparation et de reconstruction sociale, un concours habile, courageux, dévoué, efficace. Ils déployèrent au service de cette œuvre non-seulement de grandes facultés et de grandes lumières, mais une honorable ardeur à faire cesser les iniquités, à guérir les maux, à relever les ruines. On oubliait, dans un effort commun vers le bien public, les discordes, les inimitiés, les injures de la veille. Et cet honnête accord, ce puissant concours. Napoléon l’a obtenu et en a recueilli les fruits dans ses conseils comme dans ses armées, dans l’administration civile de l’état comme sur les champs de bataille, pour son pouvoir en France comme pour sa gloire en Europe.