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ligieuse ni la liberté politique, ne pouvait évidemment pas les donner à ses nouvelles possessions. La liberté commerciale lui était également inconnue; comment les métropoles auraient-elles établi dans les colonies un régime différent de celui qu’elles observaient pour elles-mêmes? Les capitaux étaient rares, et pour mettre en valeur les vastes domaines découverts au-delà des mers, on dut encourager les grandes compagnies fondées sur le monopole. Dans quelques régions, l’impossibilité de trouver des bras libres pour la culture créa l’esclavage, et à cette époque la conscience des peuples les plus éclairés n’éprouvait point de répugnance contre ce crime social, érigé bientôt en institution. Telles sont les conditions qui ont pesé sur les colonies naissantes et qui se sont perpétuées durant trois siècles. Aujourd’hui tout est changé : les idées de liberté ont triomphé dans les métropoles; plus de prohibitions ni de monopoles commerciaux : l’abondance des capitaux, le crédit, la promptitude et la régularité des transports maritimes, les ressources de l’émigration, qui peut distribuer sur tous les points du globe le travail libre, tous ces moyens, tous ces progrès sont venus modifier profondément l’économie de l’organisation coloniale. Laissons donc là les récriminations stériles contre un régime qui a vécu et recherchons de préférence quelle peut être aujourd’hui l’utilité des colonies, quels doivent être leurs rapports avec les métropoles, quelles sont enfin les conditions les plus propres à garantir leur prospérité.

Ces questions, les unes théoriques, les autres pratiques, préoccupaient déjà très vivement les économistes du dernier siècle. Adam Smith les a traitées dans l’un des chapitres les plus remarquables de son grand ouvrage, et il les a éclairées de toutes les lumières de son génie[1]; mais, à l’époque où il écrivait, il n’avait à juger que les anciennes colonies d’Amérique et des Indes orientales. Depuis lors, de vastes régions ont été conquises à la colonisation européenne, et le champ des études, des expériences, des systèmes, n’a fait que s’étendre. Les économistes modernes ont donc pu sans témérité reprendre l’œuvre d’Adam Smith, modifier sur certains points les doctrines du maître, et les compléter par des observations nouvelles. C’est en Angleterre, comme on devait s’y attendre, que les questions coloniales ont provoqué le plus de recherches. La colonisation y est enseignée en chaire publique, comme une science d’utilité générale et nationale. Nous avons sous les yeux la seconde édition d’un cours professé par M. Herman Merivale à l’université d’Oxford. Les idées qui sont développées dans ce travail, ainsi que

  1. Livre IV, chapitre VII, des Recherches sur la nature et les causes de la Richesse des nations.