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de Machiavel. Un conflit isolé éclate, bientôt il devient plus général; un pacha intervient à main armée et sans provocation dévaste les récoltes et les plantations, incendie les villages et les églises, et massacre une population inoffensive qu’il a commencé par désarmer.

Avant mon voyage dans le Taurus, j’ignorais complètement l’existence des Zeïthouniens. Ce fut à Sis, durant mon séjour au monastère patriarcal, que j’entendis parler d’eux pour la première fois. Les moines du couvent me racontèrent alors comment s’était formée la confédération arménienne de la montagne, et ils me donnèrent des détails sur la population du pays, son organisation politique, le nombre et les ressources des habitans. Comme ils m’avaient appris aussi que des Zeïthouniens venaient de temps à autre au couvent pour leurs affaires, je résolus de prolonger mon séjour au patriarcat, afin d’obtenir d’eux des renseignemens qui me permettraient d’entreprendre une excursion dans leurs montagnes. L’occasion ne se fit pas attendre. A quelques jours de là, je me promenais hors de la ville avec un moine du couvent, quand nous vîmes venir à nous plusieurs cavaliers qui ressemblaient, à s’y méprendre, à des Turcomans : c’étaient des Zeïthouniens. Arrivés près de nous, ils descendirent de leurs montures, vinrent l’un après l’autre baiser la main du religieux, et commencèrent à l’entretenir des affaires qui les amenaient à Sis. Leur conversation, qui dura quelque temps, me permit de les examiner attentivement. C’étaient des hommes d’une taille au-dessus de la moyenne, bien constitués, ayant les traits assez réguliers, l’œil vif et le teint basané. Leur costume, d’une grande simplicité, consistait en une veste longue (aba) de couleur rouge, en poil de chèvre, ornée de ganses bleues. Un pantalon large (chérwal) en poil de chameau, un turban vert de hadji (pèlerin) et des bottes en maroquin rouge complétaient leur équipement. Ils portaient tous des pistolets à la ceinture, et un fusil était passé en bandoulière sur l’épaule droite. Le soir, pendant le repas, pris en commun dans une des salles du monastère, je priai les Zeïthouniens de me donner quelques détails sur leur pays. Aux questions que je leur fis, ils répondaient d’une façon évasive, et même avec une répugnance assez visible. Tout ce que je pus savoir, c’est que, de Sis à Zeïthoun, il fallait douze heures de marche par des chemins fort mauvais et souvent très dangereux. Cependant j’étais décidé à aller visiter chez eux les montagnards arméniens du Taurus, et quelques heures après le départ des hôtes du monastère je me dirigeai, avec une forte escorte de zaptiés, du côté de Zeïthoun. Lorsque j’arrivai sur le territoire de la confédération, quelques Zeïthouniens, qui avaient été avertis de ma venue, se portèrent à ma rencontre, et, me voyant accompagné d’une escorte militaire, ils me signifièrent que je ne pouvais aller