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plus irrésistible la retient, la force des choses, ce guide tout-puissant et invisible des événemens. Elle ne peut ainsi ni reculer ni avancer.

Autre problème qui s’élève ici parallèlement : quelle est la direction définitive de la politique française? La France, après avoir eu son épée enfoncée jusqu’à la garde dans les affaires italiennes, peut-elle laisser retomber tout ce qu’elle a aidé à vivre dans la décomposition par l’impossibilité d’aller plus loin? N’est-elle pas engagée, bien plus que par une garantie diplomatique, par cette liberté même dont elle a entouré l’œuvre qui s’accomplissait devant elle, à côté d’elle, après avoir été commencée par elle? Est-il donc vrai que ses traditions soient dans un camp et ses principes dans l’autre, qu’il y ait guerre entre ses intérêts et ses sympathies, entre ses instincts d’émancipation et sa politique religieuse à cause de Rome? Est-il vrai enfin, comme on le dit quelquefois avec une légèreté tranchante et prétentieuse, qu’accepter l’unité de l’Italie pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle peut être, ce soit sacrifier la France et les conditions permanentes de sa grandeur à une cause étrangère par un caprice de dilettantisme révolutionnaire? C’est là le doute émouvant et complexe qui retentit dans le secret des consciences comme dans les discussions publiques, et le malheur, le grand malheur, c’est que dans ce doute prolongé les esprits indécis et flottans s’étourdissent eux-mêmes. Le trouble des imaginations s’ajoute au trouble des faits en l’aggravant, et produit cette confusion, ces équivoques, ces combinaisons bizarres que nous voyons : M. Proudhon qui soutient le pape et la fédération, — des prêtres, des jésuites qui sont pour l’unité de l’Italie, des hommes qui sont libéraux à Paris et ne le sont plus à Rome, en compensation de ceux qui réservent tout leur libéralisme pour Rome et n’en gardent rien pour Paris, des publicistes qui passent leur vie à renier la nationalité italienne et sont pleins de feu pour la nationalité napolitaine ou modenaise. C’est le choc de toutes les contradictions et de toutes les passions servant à épaissir une obscurité au sein de laquelle la politique s’arrête immobile et comme embarrassée de son œuvre.

Il y a eu un jour, à l’origine, où elle était simple, cette question italienne, elle le paraissait du moins. On ne voyait en elle qu’une revendication légitime d’indépendance, une manifestation de nationalité en face de la domination étrangère. Toutes les questions d’organisation intérieure, de formes, de combinaisons futures, disparaissaient dans ce premier et énergique mouvement. Ceux mêmes qui pressentaient avec alarme les conséquences irrésistiblement libérales de cette entreprise de délivrance, ceux qui étaient instinctivement plus sensibles aux dangers qu’on allait courir à Rome et