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curisme, qui lui apprend combien les honneurs, les magistratures sont peu de chose, combien il est doux de ne pas même y aspirer. Cette doctrine austère qui recommande en tout l’abstinence lui fera voir encore l’inutilité de la richesse, lui dira que la nature dont il faut suivre les lois est satisfaite à peu de frais, et que, délivrée de la crainte et de la douleur, elle ne réclame plus que des plaisirs simples qu’elle fournit elle-même et qui ne coûtent rien. Ici encore le bonheur est dans le renoncement, et Lucrèce se plaît quelquefois à opposer ces joies paisibles de la simplicité à la vaine ostentation du luxe contemporain et à ses recherches impuissantes.

Il nous paraît inutile de citer les nombreuses professions de foi morale qui montrent que Lucrèce n’a pas cherché dans l’épicurisme une doctrine frivole et commode qui lâche la bride aux passions. Tout son effort au contraire consiste à les mettre sous le joug, à leur refuser une pâture, et rien n’égale le mépris qu’il a pour elles. Ceux qui, sur la foi de certaines déclamations convenues, sont accoutumés à maudire Épicure, peuvent être étonnés en entendant le plus éloquent de ses adeptes proclamer une morale aussi inattaquable. Cette doctrine ne vante que les plaisirs simples, gratuits, innocens, et ne promet que les sévères délices du détachement. L’épicurisme ne mérite d’être détesté que pour ses dangereux principes et ses conséquences extrêmes, et si l’on a raison de mépriser l’indifférence corrompue de la plupart de ses sectateurs romains, d’un Pétrone par exemple, qui passe sa vie dans les festins, le sommeil et les gais propos, et qui, fidèle jusqu’à la mort à ses habitudes de frivolité voluptueuse, se fait lire à ses derniers momens des poésies légères et des chansons, Lucrèce ne doit pas être confondu avec ces faux disciples d’un sage, et il est digne de cette sympathie et de ce respect qu’on accorde à tous ceux qui ont cherché avec ardeur, même dans de périlleuses erreurs, les satisfactions d’un grand esprit et d’une âme généreuse.

Notre dessein n’étant pas d’étudier la morale de Lucrèce, nous ne faisons que rappeler les vers qui nous montrent quelles étaient les belles aspirations du poète épicurien, La paix! la paix! ce cri de Pascal est aussi celui de Lucrèce : la paix pour la république dont les terres et les mers sont sillonnées en tous sens par des armées et des flottes guerrières, la paix pour son ami Memmius, pour lequel il compose son poème, afin de partager avec lui les bienfaits de la doctrine, la paix enfin pour lui-même, placidam pacem. S’il y a de la prudence à réduire ainsi sa vie, il faut convenir qu’il y a peu de grandeur dans cet éloignement de l’action. Le système est bien étroit, et toute la sagesse consiste à se dérober, à se cacher, à esquiver avec les périls de la vie les devoirs qui lui donnent du