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de s’introduire dans la question par de sages remontrances et par la revendication du droit.

Voilà le premier tour heureux qu’ont pris les affaires de la Pologne. La France, l’Angleterre, l’Autriche elle-même, ont enfin trouvé une occasion qui leur permet, sans outre-passer les règles et les convenances de la procédure diplomatique, de se saisir de la question polonaise et de contribuer à la résoudre avec justice et modération. Nous ne sommes qu’au début, et peut-être au moment le plus délicat d’une situation si neuve. Nous avons le désir le plus vif de voir cette question conduite à une fin heureuse ; nous avons la plus grande crainte qu’elle ne soit compromise par des impatiences et des exagérations : c’est donc pour nous un devoir de nous appliquer à bien préciser le caractère du moment actuel de la question polonaise.

Il faut, disons-nous, écarter les exagérations, modérer les impatiences ; il faut bien comprendre comment la question s’engage. Nous ne regrettons point l’espèce de violence avec laquelle se sont trahis d’abord les sentimens de l’Europe libérale. L’énergie de la manifestation européenne, provoquée par les scènes cruelles dont la Pologne est le théâtre, est une force morale qui doit profiter à la bonne conduite politique de la question polonaise ; mais à cette manifestation morale se sont mêlées bien des erreurs qui étaient de nature à égarer l’opinion. La presse anglaise a, dans cette circonstance, prodigué ce genre d’articles que les Américains appellent articles à sensation, articles chimériques et violens, qui ébranlent les nerfs du public, répandent la panique dans les esprits, et mettent en circulation les bruits les plus inexacts et les conjectures les plus hasardées. Du premier coup par exemple, avec une habileté par trop grossière, la presse anglaise lançait la France à la délivrance de la Pologne en lui montrant pour appât les frontières du Rhin. Trop heureux de découvrir le principe d’une fissure dans ce monstre de l’alliance franco-russe dont leur imagination se tourmentait à l’excès, les journaux de Londres, pour creuser un abîme entre la Russie et nous, nous livraient d’entrée de jeu le continent ! Les hommes politiques d’Angleterre étaient loin de leur avoir donné l’exemple d’une telle intempérance, et les hommes politiques de France ne pouvaient être dupes d’avances si démesurées. Le comte Russell, dans sa réponse à lord Ellenborough, avait traité la question polonaise avec une honnête simplicité, avec une grande droiture de langage, mais aussi avec une loyale prudence. Dans la question de sentiment et de morale, il avait été d’accord avec ce que l’on peut appeler la conscience de l’Europe. Il avait flétri la proscription et la déportation prenant le masque du recrutement arbitraire, il avait condamné, au nom de la probité et de l’honneur, le triste système du marquis Wielopolski, il avait également frappé d’un blâme justement sévère la convention de M. de Bismark ; mais dans la question pratique et politique il avait laissé voir son hésitation avec une entière franchise, il avait déclaré que le gouvernement anglais, dans le choix des moyens propres à secourir la Pologne,