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intérêts, sont connus en turc, dans la langue officielle elle-même, sous le nom de milet ou nations, et cette division peut aller très loin. Ainsi à Diarbékir, me disait un Arménien qui voulait me donner une idée de l’importance de cette ville et de la variété de sa population, il y a quatorze nations.

En Turquie, le corps simple, la molécule organique, si l’on peut ainsi parler, ce n’est donc pas, comme en Occident, la commune, mais la paroisse. Dans les villes où il n’y a qu’une seule race, une seule communion, comme là par exemple où la population est toute turque ou toute grecque, la paroisse et la commune se confondent, ou plutôt se remplacent, sans que rien fasse saillir la différence ; mais on la voit s’accuser aussitôt que deux ou plusieurs communions se trouvent en présence. Or le morcellement, l’antagonisme, qui sont institués ainsi au cœur même de ce qui est ailleurs l’élément irréductible et en quelque sorte l’atome politique, au cœur du village ou de la ville, se retrouveront nécessairement dans la vie collective du vaste ensemble que constitue la réunion de ces villages et de ces villes sous un même sceptre. Tant que l’unité municipale n’existera pas en Turquie, il n’y faut point parler d’unité nationale. S’il y a quelque espoir de salut, c’est de ce côté qu’il convient de le chercher : sans détruire la paroisse, il importerait de créer, d’organiser partout la commune.

Un pas a déjà été fait dans cette voie sous le règne du dernier sultan ; une institution a été créée, qui a déjà porté certains fruits, et qu’il suffirait de développer et de régulariser pour en obtenir les plus heureux résultats : je veux parler de l’institution des medjilis ou conseils qui, dans toute circonscription administrative, se réunissent auprès du mudir, caïmacan ou pacha, et contiennent un délégué de chacune des communautés que renferme la circonscription. Dans leur organisation actuelle, ces conseils ont un premier défaut : les conseillers turcs y égalent en nombre ceux de toutes les autres communions réunies. Par conséquent les raïas ne s’y trouvent point sur un pied d’égalité avec les musulmans, et ne peuvent point considérer leurs droits et leurs intérêts comme y étant suffisamment représentés et efficacement protégés. De plus, le mode d’élection des députés est irrégulier et arbitraire ; la convocation de ce corps dépend de ceux qui peuvent avoir intérêt à l’empêcher de se réunir ; enfin sa compétence est vague et mal déterminée. Ses attributions tiennent à la fois de celles qui sont partagées chez nous entre les conseils municipaux, les conseils généraux, les conseils de préfecture, les tribunaux civils et criminels. Le medjilis s’occupe des dépenses à faire par l’arrondissement et la province, il répartit l’impôt, il est ou doit être consulté par le pacha sur les mesures administratives qu’il convient d’adopter dans les cas difficiles, par le cadi dans