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pacha d’Angora à des gens de Césarée qui avaient été volés entre Istanos et Angora. Ils allèrent se plaindre au pacha. « Connaissez-vous les brigands? leur demanda-t-il-gravement. — Comment votre excellence veut-elle que nous les connaissions? Nous ne sommes pas du pays, et d’ailleurs on nous a bandé les yeux. — Si vous ne les connaissez pas, vous qui les avez vus, comment voulez-vous que je les connaisse, moi qui ne les ai point vus? » Les malheureux ne purent en tirer autre chose. Je ne me souviens plus si c’étaient des chrétiens ou des Turcs ; mais les uns sont aussi bien victimes que les autres de l’audace des malfaiteurs, de l’indifférence et de l’apathie profonde des autorités. Il y a même plus : celles-ci sont souvent soupçonnées par la population d’être les complices des brigands. On prétend ici qu’un négociant qui de Constantinople amenait du drap à Angora, ayant été dépouillé en route, aurait, peu de jours après, reconnu le drap volé sur les épaules du mudir de Nali-Khan. Ce mudir serait, assure-t-on, l’associé des voleurs qui exploitent avec succès son arrondissement, et sur les bénéfices de l’entreprise il ferait une remise au pacha d’Angora. Il est très probable que tout ceci est faux; mais quel pays que celui où de pareilles accusations peuvent trouver créance, où l’autorité est si méprisable et si discréditée qu’il paraît tout naturel de la soupçonner d’une pareille connivence !

Dans un tel état de choses, le plus sûr pour qui a quelque raison de tenir à ne point être volé, c’est de ne compter que sur soi, de voyager en troupe, d’avoir de bonnes armes et le courage de s’en servir. Le plus souvent une attitude résolue impose aux brigands, et ils n’attaquent guère là où ils voient qu’il y a plus de balles à recevoir que de profits à faire. Quelquefois pourtant la résistance est vaine, faute d’être bien concertée et assez énergique. Parmi les voyageurs, surtout si la caravane se compose de raïas, les poltrons sont en majorité; on risque alors d’irriter les malfaiteurs, et de perdre à la fois la bourse et la vie. En septembre 1861, une caravane fut attaquée à Nali-Khan, entre Constantinople et Angora. Les voyageurs étaient une quarantaine, mais beaucoup d’entre eux sans armes; les voleurs étaient seize, tous armés. Quelques Grecs de Kaisarieh prirent aussitôt le parti de résister. Si leurs compagnons avaient été aussi courageux et aussi déterminés, il aurait suffi de la supériorité du nombre pour mettre en fuite les agresseurs; mais les Arméniens dominaient, et dès que le plus résolu des Grecs fut tombé, frappé d’une balle, toute résistance cessa. Les brigands s’étaient mis à l’abri derrière des arbres d’où ils tiraient, presque sans danger, sur les voyageurs, ramassés en tas au milieu du chemin. Il y eut pourtant un voleur de tué. Du côté des voyageurs, six personnes furent tuées, d’autres blessées. Plusieurs de ces dernières arrivé-