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adoptèrent donc Fouquet avec une ardeur dans laquelle entraient pour les uns d’honorables affections personnelles, pour les autres des ressentimens rendus plus vifs encore par l’impuissance. Pussort, Berryer, Sainte-Hélène, et tous les membres de la chambre qui, sur le chef du crime d’état, maintinrent un avis trop rigoureux à coup sûr, quoique légal, tous ces magistrats, qui n’étaient probablement que d’ardens royalistes, furent présentés au public comme des juges prévaricateurs. L’accusé, qui s’éleva d’ailleurs à la hauteur de son infortune en rencontrant tout à coup des inspirations d’honnêteté et de prudence dont il avait manqué si longtemps, l’accusé, pour lequel on avait commencé par réclamer la clémence, fut bientôt présenté comme l’intéressante victime d’une odieuse iniquité. Les écrivains et les femmes, les salons et l’Académie se donnèrent pour la dernière fois, durant le cours du grand règne, le plaisir d’accomplir un acte d’opposition. Du sein de l’exultation bruyante provoquée par l’arrêt qui lui sauva la vie, la mémoire de Fouquet sortit bientôt singulièrement transfigurée. Ses enfans profitèrent de ce long engouement au point de se voir presque égalés à des princes du sang en puissance et en richesse, à ce point que Saint-Simon a pu dire qu’on s’était étudié à « faire au fils de Fouquet un apanage comme à un fils de France. » Quant à l’histoire, au lieu d’un brillant étourdi, sans esprit politique, auquel la vanité avait tourné la tête, on lui présenta un grand homme d’état méconnu, expiant sous les verrous une supériorité qui avait offusqué Louis XIV.

Le remuant personnage qui aurait eu probablement son jour sous la régence du duc d’Orléans n’avait pas de place possible sous l’administration sévèrement ordonnée de Louis XIV. La captivité de Pignerol a donc beaucoup plus servi à sa renommée que ne l’aurait fait le reste de sa vie écoulée à la cour et dans les affaires. Dès le jour de son arrestation, le vieil homme sembla mourir chez Fouquet. Le cœur du courtisan voluptueux parut se dégager sans effort des liens si puissans dans lesquels il était enlacé, de telle sorte qu’à la première atteinte du malheur on y vit refleurir tous les germes déposés par la main d’une mère, l’une des âmes héroïques d’un siècle si fortement trempé dans la foi. Dès sa première étape au château d’Angers, au lendemain de son emprisonnement, Fouquet implore de la commisération royale une seule grâce, celle de recevoir les consolations religieuses pour ramener la paix dans sa conscience, dont il ne dissimule ni les remords ni les angoisses. Revenu après de fortifians entretiens à cette sérénité que le repentir assure comme l’innocence, le prisonnier se montre dans ses interrogatoires et durant les longues séances de l’Arsenal, prolongées par des incidens sans fin, aussi rempli de mesure dans sa conduite que de noble mo-